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20 juin, elle vit arriver Mme Chantereine, l’aimable dame de compagnie que lui octroyait le Comité de Sûreté générale, quand son cachot s’ouvrit enfin, quand elle put descendre au jardin selon sa fantaisie, circuler par tous les appartements des deux tours, quand elle apprit qu’on mettait à sa disposition linge, toilettes, livres, quand elle constata la suppression des commissaires civils, la réduction de la garde à quinze hommes, quand elle s’avisa enfin que tout le cauchemar subitement dissipé, l’isolement, les soldats, les geôliers, les verrous, les canons, et tant de consignes, de surveillants, de précautions, de mystères et de cruauté n’avaient eu, depuis un an et demi, pour objet que la séquestration d’un pauvre enfant de dix ans dont il ne fallait pas qu’elle aperçût le visage ou qu’elle entendit la voix ! Elle dut alors s’informer du sort de son frère : elle put exiger des précisions : on lui dit qu’il était mort, et qu’il était mort au Temple, c’est certain ; on lui indiqua même, comme date du décès, celle de l’autopsie, ainsi qu’on l’avait fait pour tout le personnel de la prison. Mais c’est bien surprenant encore qu’on ne sache pas et qu’elle n’ait point dit qui se chargea de l’en instruire et quelles précautions furent prises, sinon pour ménager sa sensibilité, du moins pour qu’elle ne fût pas étonnée de n’avoir pas été avisée plus tôt et appelée à assister dans ses derniers moments le petit mourant, si cher à son cœur. Gomin ou Lasne seuls étaient qualifiés pour l’informer des circonstances rapportées dans son Journal : c’est donc par eux qu’elle connut son deuil récent. Mme Chantereine ne savait rien que par ouï-dire ; mais, sans doute, avait-elle reçu des ordres et dut-elle confirmer à l’orpheline le récit des deux gardiens. Madame y ajouta foi, on doit, l’admettre ; pourtant, il ne se passa pas longtemps sans qu’un soupçon s’élevât en son esprit, car, dès que les portes du Temple s’ouvrirent, les visiteuses qu’elle reçut et en qui elle avait toute confiance, étaient persuadées que le Dauphin n’était pas mort, et durent forcément suggérer à la jeune princesse de consolantes espérances.

Au nombre de ces visiteuses furent Mme de Tourzel et sa fille Pauline qui, toutes deux, avaient vécu quelques jours au Temple dans le début de la captivité. Il est fort délicat de récuser l’autorité de Mme de Tourzel et d’insinuer qu’elle ne croyait pas à la mort du jeune prince, alors qu’elle-même,