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doigts. — « Restez avec moi, » ordonne-t-il à Libois ; et il demande aux visiteurs de décliner leurs noms et qualités. Au comte de Montmaur, il observe d’un ton sévère : — « Vous êtes le capitaine des gardes de mon oncle, ce n’est pas une recommandation auprès de moi : il ne m’a jamais aimé ! » Pourtant il fait servir une bouteille de vin de Madère, breuvage plus distingué et plus adapté à la gravité de la circonstance que le litre de picolo dont il se contente ordinairement. Branzon, survenant au moment où l’on débouche le flacon, procède à la vérification des pouvoirs, examine les passeports, et l’entretien s’engage.

Il se prolongea durant une heure et demie ; dans la soirée, les deux personnages reparurent et, cette fois, restèrent/ » près de trois heures » avec « le prince. » Libois, qui « allait et venait, » entendit le comte de Montmaur affirmer que « Madame avait un pressentiment secret de l’existence de son frère ; « les envoyés de la princesse insistèrent pour connaître « le mystérieux mot de reconnaissance ; mais Charles se défendit de le leur livrer, » ce mot ne devant « sortir de sa bouche qu’en présence de sa sœur. » Le détenu communiqua aux deux gentilshommes le Mémoire de sa vie dicté par lui à Tourly : ils sollicitèrent l’autorisation de le porter à Madame ; mais elle ne leur fut pas accordée. Ils prirent congé, passèrent la nuit à l’Hôtel de France, et partirent pour Paris, le lendemain, par la diligence.

Ce dernier détail donne à songer : comment les envoyés d’une si haute et puissante princesse, chargés d’une mission officielle en d’aussi solennelles circonstances, ne disposent-ils point d’une des chaises de poste de la Cour ? Que les noms inscrits sur leurs passeports soient, sinon imaginaires, du moins empruntés, c’est possible ; mais ce titre de Capitaine des gardes de Monsieur ne s’usurpe pas impunément. Doit-on voir, en ces émissaires, des agents secrets de la police, des mystificateurs, ou peut-être des complices de Charles, assumant avec audace un rôle qu’il leur a tracé, afin de renforcer son crédit, d’accroître le nombre et de raffermir la foi de ses dupes ? Il est certain que cette visite, vite ébruitée, fut pour la cause du pseudo-Dauphin d’un effet considérable : à quelques jours de la arrivait, de Paris le comte de la Tour d’Auvergne, envoyé, disait-on, par la Duchesse douairière d’Orléans : il s’enferma