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le public des copies de cette lettre » et en remit « officiellement » l’original au ministre de la police, M. Decazes ; mais déjà Charles de Navarre, se sentant le vent en poupe, mettait toutes voiles dehors et gagnait de l’avance : le 3 mars, il s’adressait de nouveau à sa sœur, la Duchesse d’Angoulême et, par l’entremise d’une de ses fidèles, lui envoyait une lettre, du style de Branzon, un peu prétentieuse et guindée ; mais convenable et assez émouvante : — « C’est le compagnon de vos infortunes, ma sœur, qui vous écrit encore… Vous habitez le séjour des honneurs et des vénérations ; votre frère gémit dans le lieu destiné au crime, dénué de tout et sans autre consolation que celle qui lui vient de Dieu… » Il glisse une allusion au fameux « mot de reconnaissance convenu entre eux depuis vingt-deux ans… » il proteste enfin qu’il veut « pardonner à tous » et « exécuter à la lettre le testament du plus vertueux des monarques. »

La lettre parvint-elle à la Duchesse d’Angoulême ? C’est probable, quoique l’émissaire de Charles ne réussît point à être admise auprès de la princesse ; l’effet de cette missive, pourtant, ne se fit pas attendre : le 15 mars, Charles, averti par quelqu’un de sa « police secrète, » dépêche le concierge limonadier Libois, transformé pour la circonstance en introducteur des ambassadeurs, à l’Hôtel de France pour y rencontrer des personnes venues de Paris, qu’il désire entretenir. Libois s’acquitte de la commission, trouve, à l’hôtel, deux « Messieurs en bourgeois et sans décoration, » qui lui demandent à quelle heure ils pourront rendre visite au prétendu Dauphin de France, ajoutant qu’ils viennent de la part de Madame la Duchesse d’Angoulême ; et ils exhibent aussitôt leurs passeports : sur le premier, Libois lit le nom de M. le comte de Montmaur, capitaine des gardes de Monsieur, frère du Roi ; l’autre voyageur était « le duc de Medini. » Il les emmène jusqu’à la prison, les introduit dans une petite pièce de son appartement où Charles de Navarre les attend. Les choses se passent dignement : — « Vous venez de la part de ma sœur ? Avez-vous une lettre d’elle ? » demanda le détenu. Les gentilshommes répondent : — « Comme preuve que nous venons de la part de Madame, voici la lettre que vous lui avez adressée. » Charles prend la lettre et fait un mouvement pour la jeter au feu ; mais il se contient et garde le papier qu’il route nerveusement entre ses