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récemment, M. Eugène Burnand nous a donné encore un très saisissant exemple. On se rappelle ses figures des deux disciples Pierre et Jean, courant au sépulcre du Christ, à l’aube du troisième jour. On leur a dit qu’il était vide : ils vont voir, et ils passent en rafale, les cheveux au vent, le front enflammé par l’aurore de ce matin, qui est l’aurore d’un nouveau monde, le regard fouillant l’espace, les mains jointes par la stupeur et l’espoir, visages anxieux, émerveillés, éperdus, fous, — l’un tiraillé par l’effort d’une pensée encore hésitante, obscure, — l’autre abandonné à l’amour et à la confiance, — tous deux tirés en avant et comme aspirés par la formidable attraction du miracle… L’artiste n’a pas eu besoin d’imaginer des anges, des auréoles, des ailes, un corps glorieux qui se dissout en lumière : dans les yeux de ces deux hommes, on voit toute la Résurrection. En ce sens, on peut dire qu’aujourd’hui l’Art religieux doit être, avant tout, un art psychologique. Non que la pénétration psychologique soit nécessaire à une œuvre pour être forte et belle, en tant qu’œuvre d’art, mais parce que sans elle il n’y a plus d’art religieux.

Et c’est d’art religieux qu’il s’agit, quand on parle de décorer, à nouveau, des églises. Ce n’est point de divertissements quelconques, destinés à faire oublier à des dilettantes égarés à l’office, la longueur des cérémonies. En cette matière, il faut savoir ce que l’on veut et où l’on va. Beaucoup d’excellents esprits, animés des meilleures intentions du monde et point du tout dépourvus de goût artistique, n’ont pourtant point l’air de s’en douter. Si l’on en juge par certains projets déjà mis au jour dans les expositions précédentes et aux Salons de 1920, ils s’imaginent qu’on peut édifier les âmes en présentant aux yeux des formes gauches, des membres roides ou des expressions exaspérées. Leur admiration pour les Primitifs les égare. Les Primitifs faisaient de leur mieux et ne méprisaient aucun moyen de perfection. Les fidèles de leur temps n’ayant point la mémoire visuelle remplie d’images plus exactes de la réalité, les trouvaient sans doute admirables. Aujourd’hui, pour goûter ces formes simples, il faut avoir l’esprit terriblement compliqué. Le peuple ne l’a pas. Il n’est édifié que par ce qu’il trouve beau et il ne trouve beau que ce qu’il voit exprimé par des formes régulières et des couleurs harmonieuses. Il se peut que ce soit une erreur de sa part, mais c’est ainsi. Or, on ne fait pas un art religieux sans le peuple, pas plus