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ruminent, et songent à peine plus obscurément peut-être que ces bergers heureux d’être jeunes et d’écouter les sons grêles produits par l’un d’eux, en promenant sous ses lèvres une syrinx. On sent la féconde beauté de ce paysage qui était tel bien avant que l’œil d’un Phidias eût observé la beauté d’un pâtre et qui sera tel après nous, dans des milliers d’années, c’est-à-dire le miracle de la Nature éternelle, où rien ne bouge et où tout est vivant, où rien ne se brise et où tout se transforme, où tout se renouvelle, sans mourir.

Ce sont, là, des visions non de guerre, mais de paix. On devine le sourd et incessant travail de la Nature pour rétablir l’harmonieuse contexture, dans la diversité de ses formes innombrables et réparer les erreurs des hommes. On éprouve son équilibre parfait. On subit la suggestion de son plan mystérieux et divin. Certes, ce ne sont pas, là, des tableaux d’église. Les Pâtres de M. René Ménard évoquent même si fortement l’antiquité qu’ils confinent au Paganisme. Mais ils mettent la pensée sur un plan et l’acheminent insensiblement vers ces hautes régions où l’on ne serait plus très surpris de rencontrer la foi. On a même plus de chances de la rencontrer parmi ces témoignages enthousiastes et ces subtils rappels de l’œuvre divine, qu’au milieu des symboles exaspérés et des crudités matérialistes des « sections » dites « d’art religieux. »


III

Est-il donc impossible à l’artiste de répondre à l’appel des églises détruites ? Et faut-il voir, dans l’immense domaine où il a régné si longtemps, recueillant tous les fruits de beauté, le jardin désormais interdit, une hargneuse critique veillant, à la place du bel Ange blond, à l’épée enflammée, pour en défendre l’entrée ? Tout dépend du sens qu’on donne à cette expression : l’Art religieux. S’il s’agit des figurations du Surnaturel, il est vrai qu’il n’y faut plus penser. Elles éveilleront toujours, maintenant, l’idée de phénomènes purement naturels, trop aisément réalisés par les prestiges de la science, comme les projections électriques et ne feront plus penser au ciel. S’il s’agit de symboles, on ne saurait ni infuser une vie nouvelle dans les anciens, ni en trouver de nouveaux. Il faut, pour qu’un symbole nous touche, qu’il se comprenne sans effort, ou plutôt qu’intelligence