Page:Revue des Deux Mondes - 1920 - tome 57.djvu/596

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

parfois des plumes du paon, mais c’était sans aucune prétention symbolique et parce qu’ils trouvaient qu’elles leur allaient bien, voilà tout. La logique n’a rien à voir dans ces choses, toutes de sentiment et d’inconscientes associations d’idées. Mais, pour inconscientes qu’elles soient, ces associations ne sont pas arbitraires et elles ne peuvent se détruire en un jour. Que les ailes des anges soient taillées sur le patron des ailes des oiseaux, voilà qui s’allie à l’idée que nous nous faisons des uns et des autres, mais non pas qu’elles ressemblent à des drapeaux…

On a beaucoup dit que la décadence de notre art religieux tenait à l’affaiblissement des croyances et à la tiédeur des âmes. Ne nous payons pas de ces raisons : elles ne valent rien. Il y avait autant de désir et d’espoir en une intervention divine, en 1914 et en 1918, parmi les fidèles qui déferlaient au pied des autels, dans toutes les églises de Paris, aux jours des deux batailles de la Marne, lorsqu’on y invoquait à grands cris sainte Geneviève et Jeanne d’Arc, que parmi les foules mantouanes, il y a quatre cent vingt-cinq ans, priant la Madone, à la veille de Fornoue. Et il ne serait pas difficile de trouver, parmi nos grands chefs vainqueurs de la grande guerre, des chrétiens infiniment plus attentifs à leurs devoirs religieux que le marquis Gonzague, tout agenouillé qu’il soit devant la Vierge de la Victoire. Pourtant cette Vierge est un chef-d’œuvre. Ce qui manque de nos jours pour lui donner un pendant, au Salon, ce n’est ni la foi du soldat, ni le péril national, ni le vœu, ni la victoire : c’est Mantegna.

Quel parti aurait pris Mantegna, ou tout autre vieux maître, en face d’un objet de dévotion à peu près impossible à figurer par l’Art, comme le Sacré-Cœur, par exemple ? Nous l’ignorons, mais nous voyons que ces maîtres n’ont retenu, de tout ce que leur offraient les Vies des Saints et la Légende dorée, que les thèmes de beauté. Le reste, à peine exploré, a été abandonné. Vainement, racontait-on des scènes édifiantes de martyres, de peaux écorchées, d’entrailles enroulées autour d’un treuil : à peine deux ou trois Primitifs se sont-ils laissés aller à les peindre. La tradition ne les a pas consacrés. Il y a, là, pour nos artistes, un enseignement. Le simple instinct esthétique est là, d’ailleurs, pour les avertir. Il ne suffit pas qu’une dévotion soit encouragée par l’Eglise, répandue dans les masses et même bienfaisante aux âmes, pour que son objet puisse être matérialisé