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non pas imposé. Aussi bien son emploi est-il indépendant des vicissitudes politiques. Napoléon, dans la plénitude de son pouvoir, lui donna plus d’éclat sans réussir à l’étendre davantage ; Napoléon vaincu ne l’entraîna pas dans sa chute. Certes, au moment de la débâcle de 1814, parmi ceux qui vinrent donner leur coup de pied à l’Empereur déchu, plus d’un lui reprocha, comme fit ce M. Steffens, qui se vantait d’être à la fois « professeur de l’Université de Breslau et officier volontaire de M. le maréchal de Blücher, » d’avoir « flatté la vanité nationale par l’injuste, l’affreuse perspective d’une langue universelle, d’une littérature universelle ; » plus d’un nous menaça « d’une proscription générale de la langue française. » Mais dans le temps même où se manifestait une indignation désormais si peu dangereuse et si peu nécessaire, les plénipotentiaires du Congrès de Vienne employaient obstinément « la langue diplomatique de l’Europe. » Tout au plus rappela-t-on, dans un des articles du traité qui liquidait l’héritage napoléonien, la réserve autrefois stipulée, d’après laquelle l’usage du français n’engageait à rien pour l’avenir : et ce fut, une fois de plus, la précaution inutile. Nos ennemis eurent une occasion plus belle encore, en 1871. Même alors, même dans les négociations qui précédèrent le traité de Francfort, même dans le traité qui enregistra notre humiliation, on employa le français ; personne ne profita des circonstances pour chercher à nous déposséder de notre prérogative ; tout le monde, même Bismarck, respecta la tradition.

Il n’en alla pas autrement pendant les années qui suivirent. En 1878, au Congrès de Berlin, Bismarck encore s’exprima en français ; en 1880, à la conférence de Madrid au sujet du Maroc, un règlement préalable décida qu’on ne se servirait que de la langue française ; en 1906, à la conférence d’Algésiras, tous les débats eurent lieu en français, tous les textes furent rédigés en français : au point qu’il n’y eut aucune traduction. Le français fut la langue de la conférence de La Haye. Dans quelles conditions ? La conférence l’adopta unanimement et sans discussion ; un article du règlement fixa son choix ; le représentant de notre pays, M. Léon Bourgeois, put se féliciter « de voir le français unir cette assemblée des délégués du monde entier, et s’offrir lui-même comme auxiliaire naturel de la conciliation générale. » Une fois de plus, il ne s’était