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secouait joyeusement, à la brise de mai, la poussière que soulevaient les autos. Ce n’étaient partout que fleurs blanches de pommiers et fleurs roses de cerisiers. Dans les champs soigneusement cultivés ondulaient les blés verts ; des laboureurs conduisaient leurs charrues ; aucune grève ne venait interrompre les travaux rustiques ; seuls les troupeaux musaient dans les pâturages ; tout respirait la joie du labeur et de l’activité. On se rappelait involontairement le mot de Cowper : 'God made the country and man made the town. Dieu a fait la campagne et l’homme a fait la ville.

Mais peu à peu, les villages traversés devenaient moins riants. On apercevait des toits effondrés, des murs éboulés ; la zone dévastée commençait. La culture était plus rare et moins florissante. Aux lisières des bois et au travers des prairies subsistaient, comme une survivance des épreuves récentes, des réseaux rouillés et détendus de fils barbelés. Par moments, dans la tranquillité champêtre, se succédaient des explosions qui réveillaient brusquement les souvenirs de la guerre : c’étaient les obus qu’avaient retrouvés dans les terres les équipes de recherches et qu’elles faisaient, par précaution, éclater loin des habitations. De proche en proche, les ruines s’étendaient, toujours plus lamentables. Récemment revenus de l’Ouest, du Centre et du Midi, où ils avaient dû se réfugier pendant plusieurs années, les paysans n’avaient pu se réinstaller dans leurs foyers détruits et ils occupaient encore des abris provisoires, pavillons en ciment ou baraques en planches, insuffisants pour recueillir toute la population exilée. Les difficultés des transports, la rareté de la main-d’œuvre, le manque de matériaux, ralentissaient la renaissance du pays. Dans une telle détresse, les habitants ne se plaignaient pas ; pour fêter le premier jour du mois, ils avaient, suivant la coutume champenoise et lorraine, planté un mai devant leurs demeures de fortune ou décoré d’une branche de feuillage leurs chaumières éventrées ; et ils travaillaient ; ils se multipliaient pour remplacer les morts et les absents ; ils ne s’absorbaient pas dans la contemplation mystique d’un monde nouveau ; ils ne perdaient pas une heure de leur journée laborieuse ; mais ils n’avaient ni briques ni pierres pour relever leurs murs, ni tuiles ni ardoises pour recouvrir leurs toits, et ils attendaient, avec impatience, les objets qui leur étaient indispensables et dont l’arrivée était sans cesse retardée par les grèves et les chômages.

Ce contraste entre des parties de la France qui paraissent momentanément s’ignorer s’est accusé plus fortement encore dans les jours qui ont suivi le 1er mai. Dans toutes les préfectures, se sont assemblés,