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Avaient-ils donc tout à fait tort, ces pauvres Juifs de Pologne et d’Ukraine, de mettre dans ce livre insensé une si prodigieuse espérance ? Au milieu de mille folies, ce Zohar révélait qu’il n’y a pas, de l’homme à Dieu, la distance infinie dont parle toujours le Talmud. Il disait que par la prière, les âmes parviennent à s’arracher à leur enveloppe matérielle, et s’en vont, dans l’extase, prendre place un moment aux concerts harmonieux du ciel. Et le Livre de la Splendeur décrivait ces voyages, ces courses des âmes dans l’espace, leur ascension dans le tourbillon des Anges, leur arrivée dans les sept cours célestes, à la porte du septième palais où réside la Gloire de Dieu, et que défendent cent guerriers terribles, des étoiles de feu dans les yeux, des charbons ardents dans la bouche, montés sur des chevaux de terreur et d’angoisse qui boivent des fleuves de flammes…

Pour tous ces Juifs emprisonnés dans la lettre de la Loi, c’était un prodigieux roman, une aventure merveilleuse ! Les cieux s’ouvraient, un monde éclatant de splendeur se révélait dans l’azur. Jérusalem avec ses temples, ses palais, ses dômes d’or et d’argent, tout le brillant cérémonial des princes et des prêtres de jadis, Jérusalem ressuscitait, mais transportée au fond des cieux. L’échelle de Jacob se montrait de nouveau ; et tout le long du jour, des Séraphins aux ailes de lumière montaient et descendaient, messagers adorables entre l’azur et le ghetto. L’immense espace qui sépare la terre du ciel, se peuplait de milliers d’Anges, chargés d’accompagner les âmes dans leur ascension vers Dieu. Et chaque prière sortie de la bouche d’un Juif donnait elle-même naissance à un Ange de lumière, qui venait augmenter les milices célestes, — en sorte que le dernier des Juifs de Pologne participait à la gloire de l’Éternel et fortifiait sa puissance.

Pour la première fois chez le peuple d’Israël, la terre se mariait avec le ciel. Entre le visible et l’invisible s’échangeait un baiser divin. Il se faisait entre les mondes d’ineffables épousailles. Les vieilles outres desséchées s’emplissaient d’un vin nouveau. Tout le bois sec du ghetto s’embrasait ; toutes les ronces des docteurs devinrent un grand buisson ardent ! On se réveillait d’entre les morts !

En vain, au nom du vieux Talmud et de la Thora profanée par toute cette frénésie, un illustre docteur lithuanien, le