Page:Revue des Deux Mondes - 1920 - tome 57.djvu/433

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

sa sœur qu’on réunissait à lui aux heures des repas et des jeux. Pas un mot en revanche des six mois d’isolement qui s’écoulèrent entre le départ des Simon et le 9 thermidor. On y voit un inconnu, « vêtu en matelot » et M. de Frotté « armé jusqu’aux dents, » enlevant l’enfant dans un panier de blanchisseuse ; l’arrivée au camp de Charette, puis un séjour chez le roi d’Angleterre, le voyage à Rome, l’accueil extravagant du pape imprimant sa marque indélébile sur le jarret du jeune prince qui, certain désormais de ne plus se perdre, va à la Cour de Portugal, est fiancé, — il a onze ans ! — à une veuve, la princesse Bénédictine, sœur de la Reine ! Neuf princes souverains, dont les ambassadeurs accourent à Lisbonne, le reconnaissent roi de France et se liguent pour sa cause. Puis vient un voyage à Berlin, la rentrée en France où le fils de Louis XVI est appelé par le Comité de Clichy ; surpris par le coup d’État du 18 fructidor, — et toujours habillé en femme ! — il erre de ville en ville jusqu’à Cherbourg… on connaît le reste. Et ce scénario de feuilleton où tout est malmené, chronologie, événements historiques, vraisemblance même, est exposé en « beau langage, » semé de prosopopées chères au style de l’époque : « O rives délicieuses du Tage sur lesquelles s’élèvent sept collines !… Magnifique palais de Quelus ! c’est dans tes murs que j’ai connu l’amour ! Ciel, quels souvenirs heureux se présentent en foule à mon imagination enflammée ! O trop modeste Bénédictine !… » Non, il n’est pas possible qu’après avoir subi cette pièce d’éloquence, les initiés de Vitry se fussent sentis « en proie, non plus seulement à l’enthousiasme, mais au fanatisme, » et eussent protesté que c’était bien la Charles-Louis de Bourbon, fils de Louis XVI et de Marie-Antoinette d’Autriche ! Hervagault avait jusqu’alors fait preuve de trop d’habileté et de tact pour qu’il eût compromis, par une rapsodie de ce genre, la situation qu’il s’était acquise.

Il est curieux de remarquer que, pour tous ceux qui s’offrirent comme « Dauphins évadés, » — et le nombre en est grand, puisqu’il atteint la trentaine. » — l’écueil fut toujours l’exposé des circonstances de leur enlèvement et des péripéties qui le suivirent. Aucun d’eux n’a su fournir, sur ces événements d’importance, une version qui s’accorde à peu près avec ce que l’on sait de l’Histoire. Le rôle, au début du moins, était cependant facile à jouer, puisqu’il suffisait de dire : je ne sais