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soit ! On ne désignera plus « le prince » autrement et cette incarnation, si humiliante soit-elle, le protégera sûrement contre les dangers qui menacent le descendant des rois. Et tous les initiés s’accordent à juger surprenante l’apathie de ce tailleur de Saint-Lô qui, depuis six à sept mois, se résigne si facilement a la disparition de son fils : l’étonnement, — et la conviction, — s’accroissent quand on apprend que les lettres adressées par ce père insouciant à son enfant enfin retrouvé sont libellées « sur un ton presque respectueux ! »

Pourtant cette intervention mettait à l’aise la procédure : le prisonnier avouant être le fils du tailleur, il ne s’agissait plus que d’obtenir la reconnaissance formelle du père : le tribunal correctionnel décida le 13 pluviôse an VII, — 1er février 1799, — de retarder son jugement jusqu’au jour où « l’individualité » du prévenu serait officiellement établie, et Jean-Marie Hervagault fut remis aux gendarmes pour être conduit à Saint-Lô. Le jour de son départ, on le vit consoler ses fidèles en larmes, massés devant la porte de la prison ; il partait abondamment pourvu d’argent ; on sut que, dès le premier gite, il avait royalement traité son escorte et, « à l’accueil qu’on lui faisait partout sur la route, on aurait dit qu’il était annoncé à l’avance dans les lieux où il passait. » Deux mois plus tard il reparaissait à Châlons, le père Hervagault ayant docilement signé la déclaration de reconnaissance, et le tribunal de la Marne condamnait Jean-Marie à un an de prison.

À l’expiration de sa peine, on le dirigea de nouveau vers le chef-lieu de la Manche ; mais il n’alla pas jusque-là : à Guiberville, non loin de Torigny, il est arrêté pour une nouvelle tentative d’escroquerie ; on le conduit à Vire, où jugé sans incident mais avec sévérité, il est condamné à deux ans de prison. Sur cette nouvelle et longue détention, on est peu renseigné, du moins si l’on s’en tient aux pièces authentiques : de certains témoignages assez suspects, il ressortirait que la marquise de Tourzel, avisée du séjour à Vire du faux Dauphin prisonnier, se serait intéressée à lui, et, curieuse de le connaître, sinon personnellement, ni même en effigie, mais d’après une description précise, aurait réclamé son signalement[1].

  1. Voici le texte de ce signalement, tel qu’il est reproduit dans les Intrigues dévoilées de Gruau de la Barre, tome I, p. 536 ; tout invite à ne l’accepter que sous réserve : — « Signalement de Louis-Charles de France, fait dans la prison de Vire, le 10 septembre 1800 : âge, environ quinze ans ; taille 5 pieds environ ; cheveux châtain-clair, sourcils grands, bien faits, bien frappés et plus foncés que les cheveux ; les yeux saillants vifs et très beaux ; le nez bien fait ; front moyen ; bouche moyenne, menton petit et fourchu ; une lentille au coin de l’oreille droite… une cicatrice sous le sourcil droit, occasionnée par l’opération qui fut faite à M. Louis dans la prison de Châlons ( ? ) ; une autre petite cicatrice entre le nez et la lèvre supérieure ; sur le milieu de la jambe droite, au défaut du mollet, du côté droit, une empreinte en forme d’écusson, portant au milieu trois fleurs de lys, en haut la couronne royale et autour des lettres initiales des noms de baptême de Monsieur Louis, de son papa, de sa maman, de sa tante Elisabeth. Au surplus, le visage légèrement marqué de petite vérole. » Au bas de l’expédition se trouvent écrits ces mots : — « Pour Madame de Tourzel. »