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[C’est une glande derrière la mâchoire, — avec tumeur correspondante près de la clavicule.]

Il y en a qui meurent en criant dans les gaz ou les flammes. — D’autres, en silence, frappés par l’obus ou la balle. — Il y en a qui meurent dans le désespoir, pris dans le fil de fer ; — il y en a qui meurent tout d’un coup. Pas celui-ci.

— « Régis suprema voluntas tex ! » — [L’évolution ordinaire des cancers de gorge]. — Il y en a qui sont morts écrasés entre les ponts, — d’autres dont l’eau a suffoqué les cris entre les embarcations.

— « Ni bien ni mal — que suivant les besoins de l’Etat ! » — [Puisqu’il est un peu tard pour intervenir, — il ne reste qu’à faire une piqûre].

Il y en a qui sont morts saintement, dans l’espérance — et la Foi, — Une femme est morte ainsi dans une cour de prison. — Certaines sont mortes brisées par l’outrage. — Quelques-uns meurent facilement. Celui-ci a du mal à mourir.

— « Celui qui me barre le chemin, je le briserai ! — Malheur au traître, malheur au faible ! »

Il en est qui meurent tranquillement. — D’autres qui ne cessent de gémir sur eux-mêmes et font du bruit. — Il y en a qui démoralisent la salle autour d’eux. — Celui-ci est du type qui vaut mieux mort.

« La guerre me fut imposée par mes ennemis ! — Je n’ai cherché que le droit de vivre ! » — [Ne craignez pas de tripler la dose] — la souffrance en neutralisera la moitié.

Voici les aiguilles. — Faites qu’il meure — pendant que la drogue agit… — Qu’est-ce qu’il demande avec ses yeux ? — Oui, Très Puissant, à Dieu, c’est entendu.]


Sans doute, ce Très Puissant (Allerhöchste), qui est ici montré dans sa nudité de ver humain, seul et maudit des hommes, peut être laissé à une telle fin. Pour l’Allemagne, dont la vie est celle d’un peuple, et dure à travers ses générations, il en est autrement. En octobre 1918, quand le moment des comptes s’annonçait, contre la nation qui a violé les lois et déchaîné la mort sur le monde, Kipling a demandé l’exacte justice, la justice par l’épée, celle qui laisse sa marque indélébile dans le corps et dans l’âme, celle qu’on impose au criminel quand on le tient à merci, et qu’il ne se laisse pas imposer par un papier écrit, quand est passé le moment de son angoisse.

A travers un monde dont tous les hommes souffrent, — et,