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Mais les troupes françaises étaient-elles en état de réparer leurs pertes et de poursuivre l’offensive ?

Le 1er avril 1917, les armées françaises comptaient sur le front 2 965 000 hommes, effectif qu’elles n’avaient jamais atteint. Pour l’entretenir, elles disposaient de la classe 1918, et des ajournés des classes précédentes, soit un total qui dépasse 300 000 hommes au cours de l’année. En outre, pendant cette même année, après la remise en train de toutes les fabrications de guerre, plus de 700 000 hommes furent enlevés du front pour les travaux de l’intérieur, malgré les protestations du général Nivelle, puis de son successeur le général Pétain qui, pour arrêter cette course à la démobilisation, dut menacer de sa démission.

L’arrêt de l’offensive est donc sans aucune excuse.

Ludendorff avoue maintenant ses inquiétudes : « Notre consommation en troupes et en munitions avait été extraordinairement élevée, dit-il. Nous ne pouvions prévoir quelle suite auraient les combats et quels efforts nous aurions à fournir. » Il attribue son salut au printemps à l’inaction russe pendant l’attaque franco-britannique, et en été à l’inaction française : « À la réflexion, et si je transporte en avril-mai les succès remportés par les Russes en juillet, je ne vois pas comment le Haut Commandement aurait pu rester maître de la situation… L’offensive russe vint plus tard, en juillet, deux ou trois mois après le commencement de l’offensive franco-anglaise ; l’action des Alliés n’était pas concertée, comme à l’automne 1916 ; chacun marchait pour son compte, et nous pûmes, en agissant sur la ligne intérieure, repousser et battre séparément les adversaires isolés. » Et, en effet, six divisions allemandes furent enlevées au front français en juin 1917 et contribuèrent, dans une large mesure, à arrêter l’offensive de Broussiloff. Assurément, le gouvernement français n’était pas maître de faire agir l’armée russe en mai ; cependant la continuation de l’offensive française aurait produit le même effet d’usure que l’attaque moscovite, et de plus il est bien certain qu’il était possible d’attaquer de nouveau en juillet le front allemand, affaibli par ces prélèvements, et par conséquent, d’arriver au résultat final que prévoyait Ludendorff. En mai 1917, l’armée allemande était dans des conditions qui se retrouveront seulement en août 1918 ; mais l’Entente saura alors en profiter.