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cité très habile, avant de rédiger cet Almanach qui nous apprend qu’il faut employer, pour prendre les goujons, « un flotteur léger, lesté de deux ou quatre grains de plomb no 8, selon la force du courant, » et qu’au mois de juillet il faut « repiquer choux et céleris, arracher les aulx et les échalotes, récolter les premiers cornichons. » Il n’était point un poète pompeux : il était, ce qu’il veut être aujourd’hui mieux encore, un « poète qui a le goût de la réalité. » Mais pour l’être mieux, il a juré de supprimer tout ce que les Gentils n’ont pas honte d’appeler littérature. Nos nimia litteratura laboramus ; « nous souffrons d’un excès de littérature, » disait Sénèque, au temps de Néron, quand le paganisme était las d’un trop subtil raffinement. Les Huguenots ont brutalement condamné le luxe corporel et mental de la Renaissance. Et, de nos jours, le vieux Tolstoï, à bout de chefs-d’œuvre, a dénigré l’amusement de bien écrire. Est-ce que maintenant, — je ne dis pas, le catholicisme, père de nos arts et de notre littérature, si l’Antiquité en est la mère généreuse, — mais, d’un mot que je répète avec chagrin, le pharisaïsme ne va point à son tour fulminer de mauvais décrets contre la littérature et ses jeux anodins ? Il ferait donc cause commune avec les illettrés, par un scrupule de sottise, et avec la barbarie montante.

À force de mépriser les poètes pompeux, le poète Rustique nous raconte le plus tranquillement du monde n’importe quoi : que l’un de ses enfants, le petit Paul, est malade ; et voici le chapitre XII : « Qu’a dit le docteur ? — Il a dit qu’il faut coucher l’enfant tout de suite. — La diphtérie ? — Oui. — Ah ! mon Dieu… — Tu vois bien que j’avais raison de m’inquiéter. Sébillot viendra tout à l’heure. » et c’est tout le chapitre XII. Au chapitre suivant, la fièvre monte. Au chapitre XIV, le poète Rustique se lève pour donner à boire au petit Paul, qui a le délire. Au chapitre XV, petit Paul va mieux. Au chapitre XVI, le docteur « prend la température de petit Paul : trente-sept degrés ; la vilaine membrane se détache. Il n’y a plus rien que de la joie. » Le poète Rustique se plaint de la vie chère. Et il vient de faire ses comptes ; il a constaté « que les denrées alimentaires atteignaient des prix fous, » lorsque son propriétaire lui dit : « Monsieur, je vous estime, je vous affectionne et vous avez sept enfants. Je ne veux donc pas attendre le dernier délai pour vous congédier de cette maison qui peut me rapporter beaucoup plus que la location que vous me payez, surtout si je la vends. » Que répond le poète Rustique ? Rien ; mais il se contente de lisser les doux cheveux du petit Paul. Cependant, le voici bientôt sans domicile. Et alors, il