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rétablissement des fêtes du 8 mai : il sonda Portalis, en lui présentant ce dessein comme la consécration de la nouvelle politique religieuse. Bernier se penchait sur l’ancienne liturgie de ces fêtes ; il la remaniait ; il y mêlait des détails, des allusions, qui devaient plaire à Bonaparte. Tout cela est « bon et piquant, » jugeait Portalis. Chaptal, ministre de l’Intérieur, eut mission d’arrêter un dispositif des solennités : le 8 mai 1803, Jeanne, dans Orléans, recommença d’être commémorée. Un an plus tard, le même cortège se renouvelait : on inaugurait, en cette année 1804, la statue achevée par le sculpteur Gois ; et l’Allemand Bertuch notait sur son carnet que des paysans s’agenouillaient devant elle avec dévotion et priaient la, Pucelle comme on prie une sainte[1].

Tous les pouvoirs publics participaient à la résurrection de ces pompes : la France du régime moderne se mettait officiellement à la disposition de l’Eglise pour cheminer avec elle en l’honneur de Jeanne. Tandis que, sous l’ancien régime, c’étaient le maire et les échevins qui invitaient le chapitre à conduire la procession[2], des décisions gouvernementales, en 1803 et 1805, assurèrent à l’évêque, à l’encontre des revendications du maire d’Orléans, la prérogative de convoquer les autorités, de régler la marche du cortège, de choisir l’orateur qui prêcherait sur la Pucelle. La France napoléonienne, estimant, selon le mot de Portalis, que « tout ce qui peut lier la religion a l’amour de la patrie » mérite d’être protégé, confiait à l’autorité épiscopale d’Orléans le soin de faire honorer Jeanne[3].

Ainsi se renouaient les traditions séculaires, avec la collaboration empressée de l’État. Bonaparte s’intéressait à Jeanne comme jamais ne l’avait fait, avant lui, aucun des rois dont elle avait raffermi la dynastie : le caractère national de l’héroïne était sanctionné par la France officielle, dans les cérémonies mêmes qui, d’autre part, ratifiaient sa gloire religieuse.

Vingt ans plus tard, le romantisme surgissait. Il aimait,

  1. Bertuch, Beitrag zur Geschichte der Johanna d’Arc. Weimiar, 1804.
  2. Doïnel, Bulletin de la Société archéologique de l’Orléanais, VI, 1875, pp. 279-283.
  3. Sur le rétablissement des fêtes en 1803-1804, voir Bimbenet, Revue orléanaise, 1818, et Dudon, Etudes, 5 mai 1907, pp. 386-397.