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nommer la Pucelle et glorifier, pour le relèvement de la France, Agnès Sorel… Et ce n’était pas, non plus, chose oiseuse, de remettre sans cesse en relief le caractère religieux de cette héroïque personnalité, puisque le sculpteur Pigalle, à qui les Orléanais avaient songé pour un monument de Jeanne, leur proposait de l’habiller en Pallas, ayant à ses pieds un léopard terrassé[1]. On ne donna pas suite au projet de Pigalle, et la gloire religieuse de Jeanne n’y perdit certainement rien.

Près de quarante ans durant, le XVIIIe siècle s’intéressa fort à des copies clandestines, et puis à des éditions clandestines, et puis à l’édition, définitivement avouée, d’un poème qui souillait Jeanne. Il fallut que ce siècle atteignît quatre-vingt-neuf ans pour cesser d’aimer à rire ; on eût dit qu’il se vengeait, par le sarcasme, de tout ce qui le dépassait. Voltaire fit rire, aux dépens de la Pucelle, le Paris d’alors. La légende ébruitée dès le XVe siècle par le Bourguignon Monstrelet, et qui faisait de Jeanne une ancienne servante d’auberge[2], s’attardait encore dans le Dictionnaire philosophique, et aussi dans l’Encyclopédie, fort sévère pour les « auteurs pieusement imbéciles » qui parlaient des visions de Jeanne.

Ces mauvais courants d’ironie ne frôlaient même pas l’âme orléanaise : elle demeurait la disciple de la chaire de Sainte-Croix. La municipalité, non contente de donner aux prédicateurs, pour leurs honoraires, vingt livres de sucre et vingt livres de bougie, leur faisait parfois l’honneur d’envoyer leurs discours à l’impression. Le Jésuite Claude de Marolles fut en 1759 le premier bénéficiaire de cette générosité, dont on eut six exemples au cours du XVIIIe siècle.

Parfois, chez ces prédicateurs, l’esprit de l’époque se faisait sentir : chez le Génovéfain De Géry, par exemple, déclarant en 1779 que, pour « ménager la délicatesse du siècle, » il se tairait sur les révélations de Jeanne. Mais ce qu’il y avait, dans l’épopée de la Pucelle, de contraire aux prévisions du bon

  1. Soyer, Bulletin de la Société archéologique et historique de l’Orléanais, 1908, XV, p. 51-54.
  2. On trouve aussi cette erreur dans les pages sur Jeanne, assez ternes en leur ensemble, que Bossuet dictait au grand Dauphin. (Voir Jehanne la Pucelle, 1913, 1, p. 31-36.) Du moins cet héritier du trône entendit-il parler de Jeanne. On se demande si le Duc de Bourgogne eut le même privilège : dans ces Dialogues semi-païens, semi-chrétiens, où l’archevêque de Cambrai fit comparaître, pour l’instruction de son pupille, tant d’ombres illustres, Jeanne d’Arc est absente.