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les angoisses de mars et mai 1918. Pourquoi cette rigidité cassante du premier en regard de l’élasticité du second ? C’est que le corps des officiers allemands est une caste recrutée dans un milieu étroit ; cette origine maintient entre sa troupe et lui une ligne de démarcation qui devient aux heures graves une ligne de rupture. Le nôtre, au contraire, représente, comme la troupe, tous les éléments de la nation ; entre l’officier et le soldat, la différence est de degré et non d’essence, selon la formule même de l’armée démocratique.

Et, si notre corps d’officiers réalise cette condition primordiale de la nation en armes, c’est en raison justement de la largeur de son recrutement, du nombre et de la diversité des racines par où il va puiser la sève dans le terroir.

Avant la guerre, certains esprits épris d’unification préconisaient l’unité d’origine pour les officiers de carrière et reportaient à des écoles d’application le soin de différencier les armes. C’est une vue incomplète de la question : la diversité d’origines a pour objet bien moins de spécialiser les armes que d’attirer des esprits de nature différente. Pour commander la nation en armes, il est indispensable de puiser dans tous les milieux intellectuels comme dans tous les milieux sociaux, et l’expérience vient de prouver combien nos nombreuses écoles avaient réussi à recruter la variété de types d’officiers indispensables pour réaliser une étroite adaptation à la variété de types de nos soldats.

Sans doute le Français est un esprit souple ; il réussit à comprendre des natures différentes de la sienne, et on objectera que nos officiers réussissent bien dans les jeunes armées étrangères, que seuls ils ont pu créer et continuer la Légion étrangère, qu’enfin ils excellent dans le commandement des contingents arabes, marocains, soudanais et annamites. Ces beaux résultats sont indéniables ; qu’on les porte en plus à l’actif de notre corps d’officiers, j’y applaudis. Mais il n’en est pas moins vrai que, de tous les soldats d’Europe, d’Afrique et d’Asie, le plus délicat à commander reste encore le citoyen français. Le gaillard a des exigences terribles et d’ailleurs justifiées : il faut le comprendre, le satisfaire, et alors vous avez réellement un soldat incomparable. Si vous ne le devinez que d’une façon incomplète, alors fussiez-vous un tacticien de premier ordre, voire un stratège incomparable, vous verrez ce que