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l’amnistie de l’été de 1919 n’a pas décidés à rentrer. Ceux que l’on connait, on les recherche et on les catéchise. Mais il est possible qu’il y en ait encore que nous ignorons. Installés en Allemagne, retenus par des attaches qu’ils se sont créées, contumaces qui ne se sentent pas la conscience tranquille, ils n’éprouvent pas le besoin de donner signe de vie, et trouvent bon de disparaître. Mais le nombre doit en être bien minime, car il faut une complicité dont je n’ai pas connu d’exemple. Peut-être reparaîtra-t-il encore des prisonniers partis vers la Russie et pris dans la tourmente bolchéviste. C’est fort possible. Il y a eu depuis 1914 un tel brassage d’hommes d’un océan à l’autre que quelques égarés peuvent tourbillonner encore sans avoir pu reprendre pied.

Avant de conclure ce chapitre des prisonniers, je dois rendre hommage aux officiers espagnols qui se sont occupés d’eux. L’Espagne, chargée de nos intérêts pendant la guerre, avait affecté en permanence une douzaine d’officiers et de médecins à la visite des camps de nos soldats. Leur tâche n’a pas toujours été facile. L’Allemagne ne s’y prêtait pas. Je crois même que jamais il ne leur a été permis de visiter les prisonniers de la rive gauche du Rhin. Or c’étaient de beaucoup les plus misérables. J’ai vu, en décembre, refouler sur Berlin 500 hommes provenant de notre front qui présentaient le dernier degré de la misère humaine. N’ayant jamais reçu un morceau de linge, de savon, un vêtement quelconque depuis les 3, 4 ou 6 mois qu’ils avaient été pris, forcés de travailler près des premières lignes sous notre feu, presque sans nourriture, ne recevant rien, ni correspondance, ni colis, ils n’avaient plus sur leur pauvre corps amaigri que quelques lambeaux de capote à même la peau. Je ne crois pas que la cruauté envers les prisonniers ait été poussée plus loin nulle part pendant la guerre. Les Allemands de l’intérieur, qui ne voyaient que les prisonniers des camps, relativement bien abrités, nourris suffisamment grâce aux envois de France, s’étonnent parfois de nos reproches et ne veulent pas les croire fondés. C’est toujours le « Es ist nicht wahr » du manifeste des 93. Il n’est pire sourd que celui qui ne veut pas entendre.

Mais l’armistice vint avec la victoire, les officiers espagnols se sentaient plus libres et ils me rendirent de réels services avant l’arrivée de mes officiers dans les camps. Ce furent eux qui