Page:Revue des Deux Mondes - 1920 - tome 57.djvu/103

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

permanence de la Loi, impermanence de notre monde, — mais sous forme hébraïque, le Dieu juge apparaissant derrière la Loi qui émane de lui. Toute la pompe de l’Empire est de même substance que celle de Tyr et de Ninive, œuvre « d’une vaillante poussière bâtissant sur la poussière. » Une seule chose vaut : le sacrifice ancien, la soumission du cœur aux disciplines que le Seigneur a commandées.

De telles expressions sont assez fréquentes dans l’œuvre du poète. Quelle est alors la part du symbole ou du langage accoutumé en Angleterre, — en des temps victoriens, surtout, où la foi à la lettre de la Bible était plus générale qu’aujourd’hui ? On ne saurait dire. Autour de la religion d’un Anglais, se prolonge comme une pénombre de religiosité qui souvent n’en laisse pas distinguer tout à fait le contour, et lui-même ne saurait exactement la définir. Il arrive que le noyau se résorbe insensiblement dans le clair-obscur où elle baignait. Mais presque toujours, l’homme reste religieux. De sa foi, la forme peut se fondre à demi, mais la substance demeure. Ce qu’il pressent ou, plutôt, ce qu’il perçoit, avec une émotion mêlée de certitude, c’est, par-delà le songe de la vie, un au-delà mystérieux où réside la raison du devoir. Avec cette indicible et certaine réalité, il communique par le sentiment immédiat qu’il a de la Loi. De tout ce qu’il lui est donné de connaître, elle seule participe de l’absolu, dont passent toutes les formes que les hommes ont imaginées. Peut-être est-elle tout l’absolu, et telle semblerait la dernière pensée du poète : « A quoi sert d’implorer les dieux, puisque, accueillie ou inentendue notre prière, nous périssons avec les dieux, avec tout ce qui est, sauf la consigne — the Word[1] ? » Sans doute, un deuil désole le poème où il parle ainsi, une de ces douleurs dont la guerre a chargé combien de cœurs de pères ! Mais au premier jour de la guerre, parlant à son pays, c’est un mot de même sens, aussi nu, plus solennel et précis, que Kipling avait répété : — les Commandements[2].


ANDRÉ CHEVRILLON

  1. A Recantation, dans The Years Between.
  2. For all we have and are. Ibid.