Page:Revue des Deux Mondes - 1920 - tome 56.djvu/94

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

regardent dans l’espion les passants de la rue, comme on glisse un œil par-dessus le mur du voisin, pour la fierté de savoir et pour la jouissance de parler. Les meilleurs esprits sentirent le tort que Lamartine faisait à sa poésie par ses interprétations autobiographiques. Sainte-Beuve regretta l’Elvire idéale, si pure et si noble en ses vagues contours ; Saint-Marc Girardin déplora que « l’homme eût trahi le poète. »

Le résultat de cette énorme faute de goût ne se fit pas attendre. Ce fut la réaction contre la poésie lamartinienne. Sans doute des causes générales expliquent la décadence du Romantisme ; et tous les romantiques souffrirent des excès ou des extravagances de quelques groupes ou de quelques individus. Il suffisait d’ailleurs que le public acceptât en gros le Romantisme pour retourner contre lui certains jeunes littérateurs. Il y avait trop de suiveurs et de singes de Musset ou de George Sand pour ne pas dégoûter des maîtres même les esprits tiers, dédaigneux de la mode. Lamartine fut emporté dans le mouvement. Mais il avait présenté les verges pour le battre.

Rien ne lui valut plus de défaveur que Raphaël, les Confidences et les Commentaires de 1849. Il ne faut pas oublier que les apôtres de l’Art pour l’Art ne virent les Méditations qu’à travers cette édition et celles qui en dérivèrent. Le chef-d’œuvre y avait perdu sa discrétion exquise et son universalisé large. Avec un peu d’exagération, on pouvait y dénoncer un monument de la cynique impudeur du lyrique moderne, du montreur qui étale son cœur sur le pavé de la rue et offre ses plus intimes frissons aux huées de la populace. De là le dégoût de Flaubert, de Leconte de Lisle, de tous ceux qui firent à l’artiste une loi de ne pas se mettre dans son œuvre, et construisirent un sévère idéal d’art impersonnel égal eu majesté et en portée à la science. Tout le lyrisme fut brutalement impliqué dans la condamnation de l’indiscrétion autobiographique.

On eut aussi, vers les années 1850, et ensuite, un autre grand grief contre Lamartine. Le Romantisme s’était fait au nom de l’art, et avait fini par trahir l’art. Il était devenu, chez certains, une école de négligence, et le lyrisme, une dispense de travail, de justesse, de perfection technique. Personne, il faut en convenir, n’avait plus abusé que Lamartine de sa facilité, n’avait poussé plus loin le relâchement de la forme. On sait qu’il avait demandé à son éditeur de lui procurer un jeune