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deux sociétés distinctes : l’une est celle des seigneurs, des grands propriétaires terriens, vivant dans leurs châteaux, interceptant les routes, inquiétant le commerce et rançonnant les voyageurs, rapaces et gens de proie, ennemis naturels de l’autre société, rassemblée dans les plaines et vivant de son mieux à l’abri dans les villes. Celle-ci est l’héritière des traditions romaines, dont on voit qu’elle conserve l’organisation municipale et jusqu’aux noms ou aux fantômes de consuls et de Sénat. La première au contraire est formée par les descendants des envahisseurs germaniques. Les Barbares s’appellent maintenant les Barons. Entre ces deux races ennemies s’engage désormais une lutte de trois siècles, qui remplit tout le moyen âge et ne se terminera que par le triomphe des communes. Cette longue histoire, aux yeux de Villari, est beaucoup moins une guerre politique ou sociale pour la possession du pouvoir, qu’une suite de guerres populaires où la nation expulse le principe et le sang étrangers. Elle s’achève par l’écrasement de la noblesse. Les nobles perdent leurs châteaux, leurs biens, jusqu’à leurs noms. Au milieu du XIIIe siècle, la domination germanique est définitivement vaincue. Les guerres civiles sont ainsi de véritables guerres nationales. Dans cette vue, l’histoire des petites républiques italiennes s’explique tout entière : on a le secret de ces révolutions successives, qui n’ont présenté si longtemps au regard des historiens qu’un spectacle de désordre et d’efforts anarchiques. L’affranchissement des communes est pour toute l’Italie la première guerre de l’indépendance.

Les variantes que présente cette histoire dans les différentes républiques dépendent des situations locales ; les villes du Nord s’appuient volontiers sur l’Empereur, celles du Midi sur l’Eglise ; Rome, partagée entre l’Empire et la Papauté, n’a que des lueurs d’indépendance. Venise, protégée par la mer contre l’invasion et pure de tout alliage germanique, doit à ce privilège sa magnifique constitution et la continuité superbe de son histoire ; exempte des mouvements de fièvre, des troubles incessants auxquels Florence fut condamnée pour éliminer l’étranger, elle est le type parfait du municipe romain se développant en dehors de toute influence germanique, et échappant par-là aux douloureuses convulsions où se débat, pour s’affranchir, le reste de l’Italie.