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sain, plus redresse, que nous ne l’imaginions d’après l’interprétation traditionnelle de ses vers. Il a une volonté de vivre énergique, qui persiste à travers toutes les crises de désespoir et de pessimisme ; il lutte âprement pour avoir la vie large qu’il faut à sa nature puissante, pour avoir l’argent, la place qui lui permettront de s’épanouir, [tour avoir des possibilités illimitées d’avenir et ne pas se sentir emmuré dans une existence médiocre et insipide. Un mois après la mort de Julie, il s’était remis au travail, à Saül ; il avait conçu cinq ou six tragédies ; il avait examiné deux projets de mariages : tout cela avant le renoncement écroulé de l’Isolement.

La réalité, de 1817 à 1820, nous montre un homme étourdi d’un coup terrible, qui se relève, qui se reprend à la vie, qui enfin accepte fermement, sans réticence et sans grimace, l’invitation de l’amour, et se rengage avec ivresse da, ns la poursuite du bonheur. Ces deux ans et demi conduisent Lamartine de la mort de Mme Charles au mariage avec Miss Birch. Dans les Méditations, nous n’avons rien que le poème de la douleur, du regret, du renoncement au bonheur et à la vie. Seule, l’érudition peut lire entre les lignes, et distinguer dans l’Automne un vague aveu d’intérêt pour l’existence qui s’attache à la pensée d’une femme, — la jeune Anglaise qui bientôt sera Mme de Lamartine. Mais dans les voiles qui l’enveloppent, les simples lecteurs ne sauraient reconnaître cette figure, ni dire si elle est réelle ou rêvée. Les Méditations sont le soupir d’une âme brisée, le poème d’une vie brisée.

Un homme a perdu ce qu’il aime, la nature n’a plus rien qui l’intéresse, il ne vit que dans le souvenir et dans le sentiment de la présence invisible de l’aimée ; à la lumière de sa douleur, il regarde la vie et la mort ; il évoque l’espérance de l’immortalité ; il se tourne vers le Dieu de son enfance, il blasphème, il adore, il prie ; il est las, surtout, il est triste ; et il dit adieu à la vie, quoi qu’elle veuille lui réserver. Le recueil. artistement composé, nous conduit de la mort de l’amante aux derniers instants de l’amant. Qu’y a-t-il là qui soit l’histoire d’un homme plutôt que d’un autre ? toutes les âmes brisées, toutes les vies brisées s’y retrouvent ; l’accident, l’anecdote, le fait divers ont disparu. Il ne reste que l’essence de la douleur humaine ; et là est la poésie.

Elvire est une créature idéale et vraie ; le poète est un être