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ni ses demandes de postes, ni ses difficultés de famille, ni ses négociations matrimoniales, ni bien d’autres choses qui l’ont occupé à cette époque.

Puis, il n’y a rien de plus discret, de plus réservé, de plus pudique que l’usage qu’il a fait de sa vie dans la poésie. Il a mis devant nous toutes les palpitations de son cœur ; mais les faits qui l’ont à ce point ému n’y sont pas.

Qu’y a-t-il dans l’Isolement ? Le poète contemple un beau paysage au soleil couchant. À cette beauté, voici, comment son âme réagit :


De colline en colline en vain portant ma vue,
Du sud à l’aquilon, de l’aurore au couchant,
Je parcours tous les points de l’immense étendue,
Et je dis : Nulle part le bonheur ne m’attend.

Que me font ces vallons, ces palais, ces chaumières ?
Vains objets dont pour moi le charme est envolé ;
Fleuves, rochers, forêts, solitudes si chères,
Un seul être vous manque, et tout est dépeuplé.

Que le tour du soleil ou commence ou s’achève,
D’un œil indifférent je le suis dans son cours ;
En un ciel sombre ou pur qu’il se couche ou se lève,
Qu’importe le soleil ? Je n’attends rien des jours.

Quand je pourrais le suivre en sa vaste carrière,
Mes yeux verraient partout le vide et les déserts ;
Je ne désire rien de tout ce qu’il éclaire,
Je ne demande rien à l’immense univers.


Nous savons donc que le poète a perdu un être qui lui était cher. Mais qui ? Sa femme ? Une femme ? Nous ne savons. Et même, il n’y a rien là qui repousse aucune douleur : celui qui pleure une mère, celle qui pleure un fils peuvent entendre la plainte de leur cœur dans ces stances dévouées au regret de Mme Charles. Qui donc en 1820. eût nommé, eût deviné Mme Charles, en dehors de quelques amis personnels du poêle à qui ses vers n’avaient rien à apprendre ?

Mais il n’y a pas seulement choix, discrétion, silence. Il y a un arrangement perpétuel des faits, une invention qui complète, rajuste, rectifie, embellit ; tranchons le mot : une inexactitude voulue. La réalité, à chaque page, n’est plus que le