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Car les ennemis guettaient… La gloire de Jeanne, dès 1429, atteignit à ce périlleux apogée : Noël Valois en a retrouvé la preuve, en 1906, dans, un manuscrit de Vienne, contenant la réponse faite à l’écrit de Gerson par un clerc parisien[1].

Ce clerc, qui, comme tous les universitaires demeurés à Paris, appartenait au parti anglais, accuse Jeanne d’idolâtrie et de sortilèges ; et la raison qu’il en donne, c’est qu’« en plusieurs villes notables, elle acceptait, comme une sorte d’offrande, des cierges allumés que des enfants lui offraient à genoux, et elle faisait tomber sur leurs têtes trois gouttes de cire ardente en pronostiquant qu’à cause de la vertu d’un tel acte ils ne pouvaient être que bons. » Ainsi se dessinait dès 1429 la tactique des ennemis de Jeanne : témoins d’une certaine ferveur populaire, ils induisaient qu’elle en était complice.

Induction venimeuse, induction mensongère, comme le prouve l’attitude de Jeanne quand, au cours de ses chevauchées, nous la voyons en contact avec certaines intempérances d’enthousiasme ou certaines craintes superstitieuses. A Troyes, les habitants n’osaient pas approcher d’elle ; à Bourges, ils la pressaient de bénir des chapelets. Elle disait à ceux-ci : « Touchez-les vous-mêmes, mes braves gens ; ils en vaudront tout autant ; » et à ceux-là : « Approchez, approchez hardiment, je ne m’envolerai point ! » Elle avait des saillies de bon sens, à demi malicieuses, pour faire s’éteindre dans un sourire ces dévotes ferveurs dont elle se sentait, malgré elle, devenir l’objet, et dont elle eût voulu restituer tout l’honneur à « Dieu premier servi. » Pierre Vaillant, bourgeois d’Orléans, la voyait faire effort pour se soustraire aux ovations populaires, afin que Dieu seul eût la gloire.

Mais les juges de Rouen, bientôt, exploiteront contre Jeanne ces effervescences de la foule : ils l’en rendront responsable, et, dans l’article 52 de l’acte d’accusation, ils oseront affirmer :


Item la dite Jeanne par ses inventions a séduit le peuple catholique ; beaucoup en sa présence l’ont adorée comme sainte et l’adorent encore en son absence, commandant par révérence pour elle messes et collectes dans les églises ; bien plus, ils la déclarent la plus grande parmi les saintes après la sainte Vierge, ils élèvent des images et des représentations de sa personne dans les basiliques des

  1. Noël Valois, Un nouveau témoignage sur Jeanne d’Arc (Annuaire-Bulletin de la Société d’Histoire de France, 1900, 2e partie, p. 161-179).