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chrétiennes, en France, pensaient comme ce chanoine ; derrière la Pucelle, elles voyaient Dieu.

A son sujet, des légendes se formaient : on les sent éclore, dès le 21 juin 1429, dans une lettre écrite au duc de Milan, Philippe-Marie Visconti, par le sénéchal de Berri, Perceval de Boulainvilliers. Ces légendes disaient que dans la nuit d’Epiphanie où Jeanne était née, tous les habitants de Domrémy s’étaient sentis transportés d’une joie inconcevable, et que, deux heures durant, les coqs avaient chanté.

« Pucelle ordonnée de Dieu, en qui le Saint Esprit versa sa grâce : » ainsi parlait Christine de Pisan, la grande féministe du moyen âge, toute joyeuse de célébrer l’honneur fait à son sexe par Jeanne d’Arc ; et s’adressant aux Anglais, Christine leur disait : « Gent aveugle, voulez-vous combattre contre Dieu ? » La Pucelle « ne semble pas venir de la terre, mais être descendue du ciel, » reprenait Alain Charlier, secrétaire du Roi. Une ballade populaire retrouvée à Valence signifiait aux Anglais que leur bannière était renversée


Par le vouloir du roy Jésus
Et Jeanne la douce Pucelle
De quoi vous êtes confondus,
Dont c’est pour vous dure novelle[1].


Et les populations toulousaines invectivaient contre ces messieurs du Capitole, coupables de n’avoir pas envoyé vers le Roi « pour savoir les miracles et les faveurs nouvelles qui se multipliaient de jour en jour par le moyen de cette pucelle[2]. »

On avait su, à travers la France et même au dehors, les colloques avec les théologiens : « Elle disserte si bien que c’est une autre sainte Catherine venue sur la terre, » écrivait de Bruges, dès le 10 mai 1429, un de ces marchands vénitiens qui parcouraient l’Europe, guettant les denrées et les échos[3]. Et puis, au jour le jour, on avait su que les « signes » demandés par les théologiens étaient apportés par des victoires. En fallait-il davantage pour que parfois, avec une naïveté fiévreuse, la piété populaire s’abandonnât à certaines manifestations qui risquaient de desservir Jeanne plutôt que de l’honorer ?

  1. Paul Meyer, Romania, XXXI (1891), p. 39 et suir.
  2. Ayroles, La vraie Jeanne d’Arc, IV. p. 397.
  3. Chronique Murosini, édil. Lefèvre-Pontalis et Dorez, III./