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Dauphin dans sa Cour. » Sur le fond de la tapisserie, semé de fleurs, vingt-cinq soleils resplendissent, dont seize sont comme concentrés sur la tête de Jeanne. L’artiste, peut-être, voulait ainsi marquer que c’était par Jeanne, et après l’avoir elle-même inondée, que les lumières célestes parvenaient au roi[1]. Mais étaient-ce bien d’authentiques lumières célestes ? La parole était aux théologiens. Il fut arrêté, nous dit la Chronique de la Pucelle.


Que quelques docteurs en théologie l’entretiendraient et l’examineraient, et qu’il y aurait avec eux des canonistes et des légistes, et ainsi il fut fait… Quand elle parlait de ce dont elle était chargée de par Dieu, c’était chose merveilleuse comme elle parlait grandement et notablement, vu qu’en autres choses elle était la plus simple bergère qu’on vît jamais.


On l’observait dans toute sa vie : on la constatait sobre, dévote, tempérante. Et les théologiens flottaient entre la peur de refuser une aide divine et la peur d’encourager une illusion. L’écho de leurs perplexités parvint jusqu’à l’archevêché d’Embrun, qui avait alors pour titulaire Jacques Gelu.

C’était un personnage fort écouté. Depuis longtemps, la Cour et l’Église lui confiaient des missions illustres. S’agissait-il d’avoir pour la France l’alliance de la Castille, ou de négocier de la part d’un concile l’abdication d’un pape : on expédiait Gelu. Le professorat du droit canon, la carrière de magistrat, l’avaient acheminé vers les plus hautes cimes d’Église, et jusqu’en vue du faite souverain, la chaire même de Pierre : car à Constance, lorsqu’on avait créé un pape, huit voix s’étaient portées sur Gelu. En ce printemps de 1429, il regardait d’Embrun vers Chinon, vers le pauvre morceau de France qui restait au roi de France ; et ce qu’on lui écrivait de là-bas l’embarrassait fort.

Car il savait qu’une fille, une paysanne, nourrie dans la solitude, est susceptible d’illusions ; et puis il avait lu, dans les histoires, qu’une femme avait voulu empoisonner Alexandre. Gelu tremblait pour le prestige du Roi, pour son orthodoxie,

  1. Mantellier, Notice sur une tapisserie et une peinture du quinzième siècle dans lesquelles on représente la Pucelle (Orléans, 1860). Le Musée Johannique et sa bibliothèque nous ont été d’un grand secours pour la préparation de ce travail ; et nous tenons à remercier, pour l’hospitalité que nous y avons trouvée, M. le docteur Garsonnin et M. Larcanger.