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l’Eglise, écouter prier le peuple, surprendre les manifestations de piété qui préparèrent les décisions ecclésiastiques, et suivre ainsi la genèse d’une gloire religieuse à laquelle, ni dans la vie des saints, ni dans l’histoire des peuples, aucune autre ne peut être comparée.


I. — LES PREMIERS TÉMOINS DE JEANNE : LES CURÉS DES MARCHES DE L’EST

Cette gloire commence à Domrémy. En ce village, aux alentours de 1425, Jeanne dite Jeannette avait pour curé M. Guillaume Front, qui souvent l’entendait en confession. Plus tard, quand elle fut célèbre, M. Front disait d’elle : « C’était une fille bonne et simple, dévote, bien à ses devoirs, craignant Dieu ; elle n’avait pas sa pareille dans le village. » Il ajoutait ce détail : « Si elle avait eu de l’argent, elle me l’aurait donné pour en faire célébrer des messes ; du moins, toutes les fois que je célébrais, elle y assistait toujours. »

Voilà le souvenir que laissa Jeanne au premier personnage qui pour elle représenta l’Eglise : son curé. Et d’autres prêtres du cru, les « discrètes personnes Henri Arnolin et Dominique Jacob, » devaient, eux aussi, se rappeler sa piété, sa sagesse, sa vertu, et plus tard les attester. L’Eglise, à Domrémy, estimait donc en Jeanne une petite paroissienne fort édifiante : de ses voix, de sa mission, ces divers prêtres ne nous ont rien dit, soit qu’ils n’en aient rien su, soit qu’informés en confession ils aient eu le devoir de se taire.

La madone souterraine de la collégiale de Vaucouleurs eut souvent pour visiteuse, en janvier et février 1429, une enfant de seize ans, qui vivait sous le toit du ménage Le Royer, et qui, de semaine en semaine, s’y attardait mystérieusement. Le petit monde ecclésiastique de l’endroit eut tôt fait de remarquer Jeanne, et « discrète personne Jean Colin, » qui la confessa, trouvait en elle, — il en témoignera plus tard, — les « signes d’une bonne catholique et chrétienne parfaite. » Il est à supposer qu’avant ce diagnostic Jean Colin avait dû regarder de très près, car les propos tenus par la fillette à Robert de Baudricourt, capitaine de la ville, induisaient Baudricourt à flairer en elle quelque chose de diabolique.

Voire même, M. Jean Fournier, curé de céans, à qui