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La deuxième objection, à laquelle on s’attacha longtemps aussi et qui devint classique dans l’enseignement des écoles de la Marine, était que l’inflammabilité du pétrole serait toujours une cause de dangers fort sérieux à bord des bâtiments. Outre qu’on est bien revenu, depuis, de ce genre de péril et qu’on a nombre de moyens de s’en préserver, il faut noter que les pétroles mis en expérience, à l’époque dont nous parlons, étaient des huiles américaines contenant jusqu’à 72 pour 100 d’essences volatiles et de pétroles d’éclairage (ou « lampants ») qui pouvaient, en effet, donner quelques préoccupations aux marins, alors que les bâtiments étaient encore construits en bois, avec, seulement, une armature intérieure en fer.

Mais précisément, au moment où ces craintes s’exprimaient avec le plus de force, la conquête du Caucase par les Russes était immédiatement suivie de la découverte et de la mise en exploitation des immenses nappes de pétrole de la presqu’île Caspienne d’Apchéron[1]. Quelques années à peine s’étaient écoulées et déjà, répandu à profusion dans tout le bassin de la Méditerranée, le pétrole de Bakou prenait, grâce à son bas prix, la place des huiles végétales dans l’éclairage des particuliers. Or, s’il donnait de l’huile lampante, ce pétrole ne fournissait plus que 33 pour 100, — au lieu de 72, — de produits volatiles, et il offrait aux appareils de chauffage de précieux résidus lourds, les ostatkis ou mazouts, qui ne s’enflamment qu’à une haute température, à 150° environ, restant d’ailleurs insensibles à l’action des explosifs.

Ainsi tombait la principale objection des adversaires du combustible liquide, tandis que la première apparaissait aussi fort menacée. Il était, en effet, beaucoup plus facile, désormais, d’amener en France les pétroles ou résidus de pétrole utilisables dans les appareils évaporatoires et, donc, de constituer des stocks d’autant plus considérables que ces huiles coûtaient peu et que, d’ailleurs, leur conservation en cuves métalliques était parfaitement assurée.

Mais rien n’y fit. L’opinion s’était détournée de cette

  1. Vers 1860-63. La découverte des pétroles américains date de 1858. A peu près à la même époque, certaines villes de Roumanie, Bucarest en tête, commençaient à s’éclairer à l’huile de schiste. La découverte des nappes mexicaines est beaucoup plus récente et ne remonte guère qu’à une dizaine d’années.