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Ce qu’il y a de certain, c’est que la chauffe au pétrole réussit fort bien à bord du Puebla et qu’il semblait qu’il n’y eût plus qu’à persévérer dans la voie nouvelle qui s’ouvrait devant les yeux des marins. Dès cet essai, en effet, se révélaient les avantages du combustible liquide : facilité de la chauffe, rapidité de la mise en pression, économie de personnel, meilleure utilisation de la capacité des soutes, supériorité du pouvoir calorifique, à poids égal, par comparaison avec celui du charbon[1].

Il s’en fallait de beaucoup, cependant, que la question fût résolue. Deux objections graves se présentaient en effet, qui, vigoureusement exploitées par les « charbonniers, » — propriétaires et actionnaires de mines, directeurs, ingénieurs, mineurs, etc. — paralysèrent les bonnes volontés, y compris celle de Napoléon III. La première, qui n’est pas encore complètement écartée, mais dont la valeur diminue tous les jours, était que nous n’avions pas de pétrole, en France, tandis que nous y avions du charbon. Si l’on commettait l’imprudence d’adopter définitivement le pétrole, comment ferait-on, dans une guerre maritime, en cas de blocus prolongé ?

Il faut dire qu’à cette époque on n’avait pas la notion précise de ce que j’appellerai, comme les Anglais, le stockage, c’est-à-dire la faculté de créer des approvisionnements considérables. On était, de ce côté-là, fort timide. Ajoutons que les beaux jours de l’Alliance franco-anglaise pour la guerre de Crimée étaient bien passés. A la suite de la guerre d’Italie et de la défaite de l’Autriche, l’opinion anglaise, émue du mot célèbre : « Les traités de 1815 ont cessé d’exister… » s’était crue menacée d’une revanche de Waterloo[2]. Les côtes de la Manche s’étaient couvertes de camps. La répercussion de ces préoccupations étranges se faisait sentir à Paris, où l’on se trouvait conduit à envisager l’éventualité d’une guerre maritime et, en conséquence, la possibilité d’un blocus.

  1. C’était à Sainte-Claire Deville que l’on devait et les expériences dont nous parlons, et les études qui suivirent, et les conclusions que l’avenir, — le présent actuel, — devait confirmer. Il est juste de ne pas oublier ce que nous devons à ce savant.
  2. Il n’est pas sans intérêt de rappeler que la Prusse (qui avait mobilisé son armée aussitôt après Magenta), excitait en sous-main les défiances de l’Angle terre à laquelle elle était particulièrement liée depuis le mariage du kronprinz Frédéric avec la princesse Victoria (1858).