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flambeaux allumés, mes fenêtres ouvertes, mon feu pris, il est cinq heures. Et je suis au 8, et il faut quatre mille francs le 15, et j’ai un billet de douze cents francs à [payer à] Buisson le 30 ! Aussi, ces dernières lignes écrites, vais-je me mettre à finir Vautrin.

J’ai fait une visite à Mme de Castries. Elle a un pied dans la tombe. Je n’ai jamais vu pareille destruction. C’est un cadavre qui s’habille. Elle m’a parlé mariage, elle a qui jamais je n’ai rien dit, et je l’ai convaincue facilement que j’ignorais tous ces cancans. Son père a été l’objet des coquetteries de la grand’mère de Mniszech. Elle se rappelle le bal et les folies de cette comtesse polonaise, sous l’Empire. Elle connaît beaucoup Mme Jacquaud, la femme d’un peintriot qui demeure à Beaujon, et elle savait que je m’occupe beaucoup de la petite maison de Beaujon, et alors je lui ai prouvé que l’état de mes affaires m’interdisait d’avoir une maison et que des amis faisaient tous ces frais-la pour moi, et que je les leur rembourserais plus tard, sans intérêt ! Alors, comme elle croit que c’est une princesse russe que je dois épouser, il a suffi de dire de toi : « Mais c’est une Polonaise ; elle a cinquante-huit ans et elle est grand’mère ! » pour que tous les cancans qu’on lui a faits tomb[ass]ent. Et, comme tu passes pour dix fois millionnaire, que Mme de Cas[tries] ne me souhaite que plaies et bosses, elle a cru facilement tout cela. Comme elle voit beaucoup de monde, elle sera d’un secours excellent.

Elle aime si peu me voir heureux, de quelque manière que ce soit, qu’elle m’a dit : « On dit que cette maison est affreuse. — Horrible, lui ai-je répondu, ça a l’air d’une caserne, et il y a devant un jardinet de trente pieds de large sur cent pieds de long. C’est comme un préau de prison. Mais que voulez-vous ? J’y ai trouvé solitude, silence et bon marché ; puis les trois cent mille francs de dépense toute faite de M. de Beaujon. Si M. Gudin le veut plus tard, j’aurai de l’espace ; c’est une affaire de patience. Et j’aurai même, plus tard, des remises et des écuries, quand je pourrai avoir des chevaux. »

Et quand elle a cru que j’étais mal [logé], que je ne [me] marierais jamais et que je refaisais des folies, elle a été charmante. Et voilà ma vieille amie.

Le fait est que l’aspect de la petite maison de Beaujon n’est pas flatteur. Aussi te disais-je hier de ne pas trop te monter la