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maintenant qu’elle est terminée, on croit voir dans le langage la même licence qu’on a constatée dans les mœurs. Sans vouloir ressembler à ces pédagogues, qui prédisent l’échafaud à l’élève coupable d’avoir laissé passer des solécismes dans un thème latin, il est certain qu’on reste inquiet devant la veulerie d’un certain langage contemporain. Nous ne parlons plus ici de néologisme, d’argot grossier ou pittoresque : il s’agit d’une basse littérature, dont les auteurs semblent ignorer les règles élémentaires du français. Les*incorrections abondent, le barbarisme fleurit ; non point le barbarisme audacieux et créateur : le barbarisme honteux, le barbarisme plat, Aucun sens de la propriété, de l’honnêteté du français. L’emphase, qui répugnait tant à notre langue, triomphe dans le feuilleton : pour frapper encore l’imagination, ébranlée par tant de secousses, on force les mots en même temps qu’on déforme la psychologie, et cette langue faussée est pourtant celle qui fournit le modèle du français à des milliers de lecteurs. Il serait aisé de continuer ici l’énumération de défauts qui proviennent tous de ce que le sentiment de la pureté de la langue va se dégradant ; si on s’arrête, ce n’est point que manquent les sujets de plainte, c’est qu’ils sont trop nombreux.

Une des qualités que l’on reconnaissait à notre langue était la faculté d’adopter vite les mots qui correspondaient aux besoins nouveaux, mais de les éprouver par l’usage ; de sorte qu’ils n’entraient définitivement dans le grand trésor commun qu’après avoir été reconnus de bon aloi. L’instinct du peuple et l’autorité des écrivains collaboraient à cette tâche : on a vu des cas où des mots qui sonnaient faux, après avoir été mis un temps en circulation, ont été retirés et n’ont plus servi. Depuis la guerre, on a dû fournir fébrilement à la curiosité du public, tous les matins, des traductions puisées dans les journaux ou fournies par les agences des Alliés, exécutées à la tâche par des gens qui ignoraient à la fois et la langue qu’ils étaient chargés de traduire, et la leur. D’où des mots anglais, ou italiens, ou russes, francisés à contre-sens, quelquefois même passant purement et simplement dans les textes, sans filtrage aucun. Le rédacteur en chef d’une grande feuille de province, auquel on faisait remarquer qu’il avait eu tort de prendre Zara pour le nom d’un syndic italien, répondait que dans le volume in-16 auquel son journal équivalait quotidiennement, l’étranger