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mètres… » (Action française, 31 mai 1917). Ajouterons-nous enfin un exemple qu’il serait difficile de récuser ici ? M. René Doumic écrivait dans la Revue du 1er juillet 1918 : « M. Marcel Prévost me permettra de « recouper » ses renseignements par les miens… »

Voilà donc une influence exercée par la guerre, sur la langue parlée, sur la langue écrite. Maintenant, est-elle aussi profonde qu’elle est étendue ? Est-elle durable ?

Il semble déjà très loin dans le passé, l’argot de la guerre : tant les difficultés du présent nous pressent, et exigent à leur tour notre attention. Les sources qui l’alimentaient se sont taries ; ceux qui le parlaient se sont dispersés ; ils peuvent bien le répandre encore, mais sous une forme désormais arrêtée ; ils ne peuvent plus l’entretenir.

Certes, ils ne le renieront pas ; ils oublieront ce qu’il avait d’excessif et de grossier ; mais ils se rappelleront ce qu’il avait de pittoresque, et le temps où une abeille voulait dire un éclat d’obus ; ce qu’il avait d’émouvant, et le temps où le vaguemestre s’appelait le sourire ; ce qu’il avait de tragique, et le temps où aller au séchoir signifiait, suivant la définition du dictionnaire de M. Esnault, « aller, en parlant de fantassins, à l’attaque de positions aux barbelés intacts et bien défendus, où les cadavres restent attachés comme des loques, durant des jours. » Ils lui sauront gré d’avoir représenté la guerre telle qu’elle était dans la réalité et non pas dans les récits des journaux qui les indignaient tant, souvent laide, souvent grossière, avec toutes les faiblesses d’une pauvre chair qu’il fallait vaincre d’abord, d’avoir traduit une partie de leur psychologie, d’avoir si bien caché, selon leur désir, leurs sentiments profonds : de sorte qu’avec tant de mots pour railler et condamner l’exagération, l’enflure, l’hyperbole, il n’en avait pas pour traduire le dévouement et le sacrifice. — Mais déjà, un hiver, un printemps, un été, un autre hiver, ont passé sur les tranchées abandonnées ; elles commencent à se combler, et au printemps prochain, elles fleuriront. Les réseaux de fil de fer, rouilles, arrachés, brisés, ont pris un air lamentable en perdant leur air menaçant. Sur les grandes routes des campagnes passe le matériel de guerre vendu aux civils ; on reconnaît les cuisines roulantes, qui serviront à porter la soupe aux moissonneurs ; et les voitures du train de combat, qui serviront à rentrer le foin. On a remisé la capote bleu horizon, les cuirs, le casque ; l’argot entre au