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coranique. Et il le savait : « Dieu m’a entouré de sa grâce, dit-il au XVIe Chant du Purgatoire, au point qu’il veut que je voie sa cour d’une façon tout étrangère à l’usage d’aujourd’hui. » Il a imaginé un Paradis formé de neuf ciels astronomiques dont les sept premiers sont habités par les Bienheureux. L’Empyrée est le ciel théologique où les Bienheureux, assis sur des trônes de lumière, composent une immense rose mystique au centre de laquelle se tient Dieu avec ses hiérarchies d’anges. La Jérusalem céleste est située à l’extrémité supérieure d’une ligne droite qui tomberait perpendiculairement sur la Jérusalem terrestre. Cette situation, l’Islam, depuis le VIIe siècle, l’avait, si j’ose dire, repérée. Un juif converti, Caab Alakbas, qui fut le compagnon du Prophète et qui introduisit dans l’Islam de nombreuses légendes rabiniques, disait : « Si une pierre tombait du Paradis, elle tomberait certainement sur le temple de Jérusalem. » Quant à la structure du paradis dantesque, ses ciels astronomiques, les cercles de la rose mystique, les chœurs, angéliques autour du foyer divin, tout avait été décrit et dessiné par Abenarabi, et ses dessins ressemblent à s’y méprendre aux représentations graphiques que les érudits, bien plus tard, nous ont données du ciel de Dante. Ainsi aucune légende médiévale ni même toutes les légendes médiévales réunies ne nous livrent autant d’éléments dantesques que la littérature islamique.


Reste à savoir comment cette littérature est parvenue à la connaissance de Dante. La question est importante : je dirais même qu’elle est capitale. On pourra multiplier les rapprochements, les analogies, des ressemblances qui iront presque jusqu’à l’identité : on créera les présomptions les plus fortes, mais non pas une entière conviction. Un même sujet doit forcément suggérer à de grands poètes des développements similaires et amener entre eux des rencontres qui nous émerveillent. Les visions paradisiaques ne peuvent pas différer essentiellement d’une religion à une autre, du mysticisme musulman au mysticisme chrétien ; et, s’il s’agit de l’Enfer, l’esprit de l’homme est borné, même dans l’invention des raffinements de tortures. Il faut donc que M. Asin nous prouve que Dante a connu les œuvres dont plusieurs épisodes ressemblent si étrangement à ceux de son poème. C’est ici que sa thèse me paraît