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qu’elles se purifient. La théologie chrétienne, la tradition ecclésiastique ne lui fournissaient aucune indication. « Jusqu’au XVe siècle, cent ans environ après la Divine Comédie, nous dit M. Asin, l’existence du Purgatoire n’était pas encore un dogme en tant qu’état spécial des âmes soumises à une expiation temporaire. » Aucun concile ne l’avait défini ni décrit. L’Église même jugeait que ces descriptions n’intéressaient point la foi : elle en eût volontiers détourné les fidèles. Seuls, quelques écrivains antérieurs à Dante, Hugues de Saint-Victor, saint Thomas, insinuent quelques hypothèses qui ne concordent pas avec la vision dantesque. Mais l’Islam enseignait dans son Credo le dogme du Purgatoire et abondait en légendes. Il le peint comme un lieu contigu à l’Enfer, et séparé, extérieur à la terre, alors que l’Enfer est intérieur. « Il y a deux géhennes, dit une tradition musulmane, l’une qu’on appelle intérieure, l’autre extérieure. De la première nul ne sort. La seconde est un lieu où Dieu châtie les pécheurs le temps qu’il lui plait. Puis il permet aux anges, aux prophètes et aux saints d’intercéder en leur faveur. Alors ils sont conduits sur la rive d’un fleuve du Paradis qui est appelé le fleuve de la vie. Arrosés de ses eaux, ils renaissent comme de la graine dans le fumier… Au ciel on les désigne encore du stigmate d’Infernaux, jusqu’à ce qu’ils prient Dieu de le leur enlever ; et Dieu ordonne qu’on le leur efface. En échange, on écrit sur leur front ces mots : « Libérés par Dieu. » Rappelons-nous maintenant les stigmates des péchés effacés sur le front de Dante et ses ablutions dans les deux fleuves du Paradis ; et, sans nous attarder à d’autres rapprochements, entrons avec lui dans le jardin de délices où se prépare le cortège triomphal de Béatrice.

Son Paradis terrestre ne diffère pas très sensiblement de celui des légendes chrétiennes : mais personne avant lui n’avait eu l’idée de le situer au sommet du Purgatoire. Les Arabes supposaient que la montagne dont il couronnait la cime était le pic de Ceylan, où Adam a laissé sur le roc la trace de son pied. Ce qui est beaucoup plus étrange dans le poème dantesque, c’est l’apparition de Béatrice. Jamais aucun des précurseurs chrétiens de Dante n’eût pu concevoir que l’épisode culminant d’un voyage d’outre-tombe fût la rencontre du voyageur avec sa fiancée morte avant lui. Cette imagination était inconciliable avec l’horreur de l’amour sexuel que