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comment finit la guerre.

concours de ses forces. Il présente alors au général Joffre un ensemble de renseignements concordants et de dispositions heureuses qui détermineront la décision du général en chef d’avancer l’heure de l’offensive. Le général Galliéni a donc une part des plus grandes dans la victoire de la Marne, et sa gloire laisse entière celle du maréchal Joffre.

La faute de l’ennemi qui se présentait tête baissée dans une souricière s’explique par bien des raisons ; l’État-major allemand n’avait pas échappé à la déformation des travaux sur la carte, qui schématisent la guerre et en exagèrent le caractère géométrique. L’état des troupes, le caractère des chefs, les mille impondérables qui décident du succès ne trouvent point de place dans les études théoriques, très utiles, mais auxquelles il ne faut pas demander plus qu’elles ne peuvent donner.

Une armée qui bat en retraite doit être poursuivie à marches forcées, c’est pour l’adversaire une proie facile, à laquelle il ne faut pas laisser le temps de souffler. Un camp retranché se présente, il faut le négliger, car sa garnison, surtout s’il s’agit de la capitale d’un grand État, est fixée par la défense des organisations fortifiées, et son Gouverneur ne saurait l’aventurer sans engager gravement sa responsabilité. Telles furent les premières réponses des États-majors allemands aux questions indiscrètes que, longtemps après l’événement, leur posèrent quelques journalistes neutres. Le général Galliéni, en jetant toutes ses forces actives dans la mêlée, n’avait pas joué selon les règles du jeu et il aurait été fort mal noté dans un « Kriegspiel » du Grand État-Major. Von Kluck dit à l’un, pensivement : « Nous avons peut-être été trop savants. » Et à un autre, Suédois : « Si vous voulez les raisons matérielles de l’échec, reportez-vous aux journaux du temps ; ils vous parleront du manque de munitions, du ravitaillement défectueux : tout ceci est exact. Mais il y a une raison qui prime les autres, une raison qui, à mon avis, est entièrement décisive : car elle a permis aux autres de se manifester… Eh bien ! — dit von Kluck en appuyant sur chaque syllabe et en me regardant attentivement, — c’est l’aptitude tout à fait extraordinaire et particulière au soldat français de se ressaisir rapidement. C’est là un facteur qui se traduit difficilement en chiffres et qui, par conséquent, déroute le calculateur le plus précis et le plus prévoyant. Que des hommes se fassent tuer sur place,