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Meunier, le chef de cuisine, Baron, le portier de la Tour, tous deux de service au Temple depuis le début de la captivité. De ceux-là on se cache pour faire appel à des passants qui n’ont pas vu le Dauphin depuis quatre ou cinq ans, et on le montre dans l’obscurité, la tête tondue, le crâne scié ou le visage couvert !

Maintenant la République est débarrassée : Louis XVII est officiellement mort : le reste n’est qu’une formalité ; c’est comme fils de Louis XVI et de Marie-Antoinette que le mort va être inscrit, le 10 juin, au Temple même, sur le registre de l’officier de l’état civil chargé, aux termes de la loi « de vérifier le décès par l’inspection du cadavre. » Ce jour-là, le brave Meunier qui, consciencieusement, gardait toujours prêt sur ses fourneaux le consommé de bœuf et de poule ordonné au petit malade, apprenant que son bouillon était inutile, le donna au père Lefèvre qui tenait une buvette dans la grande cour du Palais. La nouvelle de la mort se répandit vite dans le quartier du Temple : elle trouva beaucoup d’incrédules, et les journaux, en l’annonçant, ne manquèrent pas de signaler les bruits étranges qui circulaient : « Les uns prétendent que cette mort est un fait à plaisir, que le jeune enfant est plein de vie, qu’il y a très longtemps qu’il n’est plus au Temple… L’authenticité de la mort secrète et naturelle d’un enfant que, malgré toutes les déclamations démagogiques, on ne peut regarder comme un enfant ordinaire, puisque, au lieu de courir librement dans les rues comme le fils d’un sans-culotte, il était gardé par une force armée considérable veillant jour et nuit sur sa prison, aurait peut-être dû, je ne dis pas pour l’honneur de la Convention, mais pour la tranquillité générale, être solennellement et publiquement constatée… » Un bulletin de police du 22 prairial, — 10 juin, — disait : « Si les bulletins de sa maladie, ainsi qu’il est d’usage, avaient été tous les jours rapportés à la Convention, on aurait évité une infinité de propos médisants ou même calomnieux… » Ce qui étonnait, c’était la soudaineté du décès : personne ne savait que le Dauphin fût indisposé ; on n’avait parlé de sa maladie, ni à la Convention, ni dans les Gazettes, ni même au Temple dont toutes les rumeurs étaient connues et commentées par suite du grand mouvement de gardes nationaux et de fournisseurs qui s’y renouvelait quotidiennement, et on apprenait tout à coup qu’il était mort, que les chirurgiens l’avaient ouvert… Cela