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monter l’escalier de bois intérieur, avant d’atteindre le salon désigné, salle claire et gaie, assez vaste, d’où, certainement, on n’avait pas retiré les beaux meubles en lampas bleu et blanc appartenant à M. Barthélémy. Peut-être la couchette à fleurettes roses qu’on y avait montée pour le Dauphin, dans la journée du 14 août 1792, s’y trouvait-elle encore. Pelletan avait demandé que le petit malade passât là les journées : l’y laissa-t-on pour la nuit ? la tradition le veut ; mais ce n’est que la tradition, fondée sur une série de récits dont l’élégiaque poésie est supérieure à la documentation. Il paraît inadmissible que le commissaire et les officiers de garde eussent osé enfreindre leur consigne au point de permettre que le prisonnier passât la nuit en une pièce dont le balcon était à portée facile du jardin et si éloignée, d’ailleurs, de la Chambre du Conseil, quartier général de leur surveillance. Il était, croit-on, d’habitude que l’enfant restât seul du soir au matin ; on verrouillait sa porte le soir, et, même dans les derniers jours, ses gardiens ne s’occupaient plus de lui jusqu’au lendemain. Il passa la journée du 6 juin, — 18 prairial, — dans le salon bleu et blanc de la petite Tour ; ceci paraît hors de doute, puisque Pelletan écrit : « Le succès de cette translation fut tel que l’enfant manifesta de la gaieté et se livra davantage à l’intérêt qu’on prenait de lui. » Mais ce texte n’implique pas qu’il fût installé à demeure dans la jolie chambre.

Il faut le remarquer : un changement radical s’est produit dans le régime du Temple, depuis les six jours de profond silence écoulés entre la dernière visite de Desault et la première consultation de Pelletan. On ne craint plus de montrer le petit captif : il n’est plus reclus ; la garde tolère qu’il circule d’une tour à l’autre ; les gens de service, les soldats peuvent enfin l’apercevoir à loisir, soit lorsqu’il descend les escaliers, soit quand il prend l’air à son balcon, qui n’a ni hotte ni abat-jour. Et, chose plus surprenante, la nature même de l’enfant paraît s’être subitement modifiée ; il s’émeut du bruit sinistre des verroux, lui qui doit y être cependant accoutumé depuis tant et tant de mois qu’il l’entend ; il joue avec une imprimerie, il a des livres : c’est donc qu’il n’a pas oublié son alphabet et qu’il reprend goût à la lecture. Il ne se condamne plus au mutisme ; et c’est à cette époque, — et à cette époque seulement, — que feront plus tard allusion Lasne et Gomin disant