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ses yeux qu’il fermait à diverses reprises durant plusieurs minutes. Deux ou trois fois il remua les lèvres comme s’il voulait parler ; mais l’articulation n’était qu’un souffle où l’on ne pouvait rien distinguer : « Le plus pitoyable être humain que j’aie jamais vu, » ajoutait le narrateur.

Si tel était l’état du prisonnier, il n’est pas étonnant que, dans les premiers jours de mai, Lasne et Gomin se fussent décidés à aviser le Comité de Sûreté générale. L’enfant Capet, d’après leur rapport, éprouvait une indisposition et des infirmités qui paraissaient prendre un caractère grave. Le Comité arrêta que « le premier officier de santé de l’hospice de l’Humanité se transporterait auprès du malade pour le visiter et lui administrer les remèdes nécessaires ; » mais il ordonnait que le médecin ne pourrait le voir « qu’en présence des gardiens. » Le Comité faisait bien les choses : celui que, en jargon révolutionnaire, il désignait sous ce titre d’officier de santé, n’était autre que le médecin en chef de l’Hôtel-Dieu, le docteur Pierre-Joseph Desault, qui passait à cette époque pour être le premier praticien de Paris. Il se rendit le jour même, ou le lendemain, au Temple. De ses visites, de l’attitude que tint en sa présence le petit malade, on a trouvé le moyen de faire de longs et attendrissants récits sans qu’aucun document authentique serve de base à ces développements. On sait seulement que Desault revint plusieurs fois à la prison, qu’il ordonna simplement des infusions de houblon et des frictions à l’alcali sur les articulations. Aux boutons, aux ulcères, à la gale, pas une allusion. L’enfant adressa-t-il la parole au médecin ? Quel fut le diagnostic porté par celui-ci ? On ne sait pas, le rapport de Desault au Comité de Sûreté générale, — s’il y eut rapport, ce qui est probable. — n’ayant jamais été découvert.

Le 29 mai, Desault fait au Temple sa dernière visite ; ce n’est pas que le malade soit guéri, c’est le médecin qui va mourir. Le 1er juin, il succombe, et l’enfant reste, durant une semaine, sans autres soins que ceux de ses gardiens. On en pourrait conclure que le diagnostic de Desault n’avait pas été alarmant : Lasne et Gomin étaient par lui rassurés, sans quoi, — à moins qu’ils s’acquittassent de leur mission avec une insouciance et une dureté en désaccord avec la sensibilité qu’ils témoigneront plus tard, — ils n’auraient pas, durant six jours pleins, assumé la responsabilité de traiter, sans les conseils