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commissaire civil, qu’envoie chaque jour l’une des quarante-huit sections, se présente à midi et demeure là vingt-quatre heures ; des deux cent dix hommes qui prirent ainsi la surveillance de la prison, depuis le 29 octobre 1794 jusqu’à la fin de mai 1795, pas un n’a laissé un bout de récit, une ligne de rapport, un mot, un indice, une impression, si fugitive soit-elle, de son séjour de vingt-quatre heures au Temple. Pas un n’a dit avoir vu le Dauphin. On sait qu’ils arrivent en même temps que la garde montante et qu’ils s’en vont le lendemain, la corvée faite ; rien d’autre. Nul des officiers de la garde nationale qui sont là, chaque jour également, au nombre de trois, — commandant, capitaine, adjudant, — et qui passent leur journée à la salle du Conseil s’il pleut, dans les cours et dans les jardins s’il fait beau temps, n’a consacré, dans un agenda ou dans une lettre intime qui nous soient parvenus, le souvenir de cette faction mémorable. Sans les comptes du cuisinier, on pourrait croire que le prisonnier n’est plus là et que, comme disent les commères du quartier, « on l’a fait partir bien loin. » L’économe Liénard, — plus muet encore, plus mystérieux, plus fantôme que tout ce qui l’entoure, — tient ces comptes avec une précision et une exactitude minutieuses. On pourrait presque y relever ce qu’ont mangé, à chacun de leurs repas, les détenus ; ils sont bien nourris, d’ailleurs : du 1er  germinal (21 mars), « deux poulets pour les prisonniers ; » du 8, du 11, du 18, même mention ; du 29, « deux livres de confitures et une livre de chocolat pour les prisonniers ; » le 21, « une botte d’asperges et du poisson ; » — le comptable, peu lettré, écrit asperches et poisont ; — le 28, « des merlans et deux brioches. » Or, le 21 et le 28 germinal de l’an III correspondent aux vendredis 10 et 17 avril 1795. Il y a donc quelque part, au fond des cuisines, un brave homme soucieux d’établir la concordance des calendriers pour servir, aux jours d’abstinence, des menus maigres au pauvre enfant qui, depuis longtemps, a perdu, dans sa solitude et son ombre, la notion des saisons et des mois. On constate qu’une serviette, renouvelée tous les jours, est fournie à chacun des détenus. Les dépenses d’entretien pour Madame Royale ne paraissent pas avoir été réduites : « Pour la fille Capet, 5 aunes de toile à 20 livres l’une, 9 aunes de rubans à 6 livres l’aune, 16 busqués à 10 sols pièce, 8 aunes de lacets à 5 sols l’un, façon de quatre corsets à 18 livres l’un. »