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guerre ; il fait entrer dans le gouvernement tous les hommes politiques connus ; et instruit des desseins du commandement, obéissant à ses demandes même quand elles lui coûtent, il attend avec sang-froid l’heure du redressement : la victoire de la Marne vient justifier sa confiance. Dans la longue période qui suit, on connaîtra un jour quelles ont été ses vues, et l’on discutera sur la question de savoir si l’extension de la guerre sur d’autres fronts que le nôtre n’aurait pas pu avoir, comme elle l’a eu à Salonique, d’heureuses conséquences. Là peut-être a été un des rôles les plus délicats du Président qui n’a pas la responsabilité de l’action, mais qui en a le souci patriotique : il pouvait avoir des idées, mais il ne lui appartenait pas de les réaliser. Du moins, il lui appartenait d’être en toutes occasions sur le front, dans les armées, dans les villes libérées, la parole vivante qui résumait la volonté de la France. La série des discours prononcés par M. Raymond Poincaré n’offre pas seulement l’intérêt, qui serait bien inégal aux circonstances, d’œuvres d’un art sobre et vigoureux : ils expriment devant le monde entier la pensée de la nation et ils reproduisent les traits essentiels de la France en guerre. M. Raymond Poincaré leur a donné une direction unique : ils proclament d’abord la vérité historique sur les origines de la guerre, parce que ce sont les origines qui expliquent tout le reste ; ils expriment une inflexible volonté de victoire ; ils disent enfin dès les premiers temps de la guerre ce que la paix doit nous apporter, le droit acquis par tant de sacrifices à des garanties et à des réparations.

Telle était la sûreté de vues de M. Raymond Poincaré qu’en un jour particulièrement angoissant, il eut une action importante dans un conseil d’où la victoire allait dépendre. A la fin de mars 1918, la poussée allemande était devenue très redoutable, la situation était grave et les chefs de gouvernements avec les chefs d’armées étaient réunis à Doullens. On sait que c’est à ce conseil que le maréchal Pétain apporta, avec sa méthode précise et sûre, le bilan de la situation qui devait permettre au gouvernement de prendre une décision. On sait aussi que c’est à ce Conseil que le maréchal Foch manifesta celte ardeur et cette volonté que devait justifier son imagination créatrice. Ce que l’on sait moins, c’est la part qu’a eue M. Raymond Poincaré dans la décision que facilita le désintéressement du maréchal Haig et du maréchal Pétain et qui eut pour effet de créer l’unité du commandement des armées alliées. Les événements ne permettaient pas toujours au Président de la République des interventions aussi directes, mais il lui restait la ressource de donner son avis, de