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SOUVENIRS DE CAPTIVITÉ EN ALLEMAGNE.

des greniers pour les arborer aux fenêtres, -les drapeaux qui n’avaient « dus pris l’air depuis longtemps. La maison du super-intendent s’orna du grand pavois aux couleurs de l’Empire et de Saxe-Weimar. Les tètes se redressèrent et l’on attendit avec confiance le mea culpa de Lloyd George et de Clemenceau. Le vent emporta cette illusion, comme il en avait emporté tant d’autres. Mais déjà les trains de troupes et de munitions roulaient de l’Est à l’Ouest. On entendait jour et nuit leur grondement sur la ligne de Cassel. Les gens qui revenaient d’Eisenach s’extasiaient sur la quantité de matériel et de troupes qu’ils avaient vus dans les gares. L’espoir d’une victoire décisive surgissait de nouveau et réveillait chez chacun les instincts de conquête et de domination. On parlait encore de paix, mais d’une paix allemande. Il n’était plus question de renoncer à la Belgique. La côte de Flandre était indispensable à l’Allemagne. On devait en finir avec l’Angleterre et la France. La première serait matée par l’occupation de tous les ports de la mer du Nord et de la Manche, la seconde céderait le bassin de Briey, Belfort, la Franche-Comté, la Champagne et que sais-je encore. On avait jusqu’alors tenu tête à l’ennemi sur deux frontières ; comment ne l’écraserait-on pas, maintenant que l’on pouvait précipiter sur le front occidental le bloc d’acier de toute l’armée allemande ?

J’écoutais tous ces discours sans m’émouvoir. Isolé au milieu de ce peuple désemparé, j’étais rassuré, beaucoup plus rassuré, comme je l’ai appris plus tard, que ceux qui, de l’autre côté du front, attendaient l’attaque. .J’objectais parfois l’intervention imminente de l’Amérique. On haussait les épaules. L’Amérique ! Elle arriverait trop tard. D’ailleurs, arriverait-elle ? Elle n’avait voulu en prenant part à la guerre que la prolonger, pour continuer à amasser des milliards en fournissant des munitions à ses alliés.

L’hiver ne fut pas trop rigoureux. Malgré la disette grandissante des vivres, on attendait avec confiance l’arrivée des blés de l’Ukraine et l’offensive de Ludendorff’. L’effet des premières nouvelles que l’on en reçut au mois de mars justifiait tout ce qu’on en avait espéré. Déjà, on voyait Amiens capitulant et les troupes s’avançant le long de la Somme, rejetant les Anglais sur Dunkerque et les Français sur Paris. On tenait enfin le coup de massue irrésistible, on touchait au but.

L’attaque sur le Mont-Kemmel empêcha de remarquer