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par sa grâce rayonnante le règne de l’empereur Alexandre III ; elle sut créer autour de la cour une atmosphère dans laquelle se fondaient quelquefois les préventions les plus persistantes contre le régime autoritaire de ce souverain.

On lui a reproché, lorsque ce règne eut pris fin, d’avoir voulu tenir trop longtemps son fils en lisières et d’avoir prêté son appui aux conseillers du défunt Empereur qui étouffèrent chez Nicolas II toute velléité de s’affranchir des préceptes de son père. Sans nier ce fait, je ne crois pas que l’on puisse en faire un grief à l’impératrice Marie-Feodorowna : elle connaissait la nature vacillante du jeune empereur et son manque de préparation à sa tâche ; il était donc tout naturel qu’elle cherchât, dans les débuts de son règne, à le maintenir dans le respect des traditions léguées par Alexandre III, dont la puissante personnalité avait dominé d’une manière absolue tous ceux qui l’entouraient. Mais nous avons vu que, plus tard, lorsqu’elle put se rendre compte par elle-même du danger que la continuité de ces traditions faisait courir à la monarchie, elle n’hésita pas à conseiller à son fils des concessions raisonnables et contribua, en octobre 1905, à sauver la situation. Lorsque d’autres influences eurent définitivement pris le dessus sur la sienne dans les conseils de l’empereur Nicolas, il ne lui resta qu’à se renfermer dans le rôle de spectatrice attristée d’événements qu’il n’était plus en son pouvoir de conjurer. Aujourd’hui, enfin, peut-on concevoir une tragédie plus poignante que celle de cette âme d’élite atteinte dans ses fibres les plus profondes par le martyre de son fils et par l’effondrement de l’empire dont elle s’était efforcée, en d’autres temps, d’être le génie bienfaisant ? Ayant eu le privilège d’approcher l’impératrice Marie-Feodorowna dans des conditions particulièrement favorables et de recueillir de sa part de précieuses marques de confiance, je remplis un impérieux devoir en déposant publiquement à ses pieds l’hommage ému de mon dévouement et de la douloureuse pitié qui emplit mon cœur lorsque j’évoque l’image de son calvaire.


A. ISWOLSKY.