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pouvait la considérer surtout comme la récompense d’illustres services ; il pouvait la considérer comme l’autorité traditionnelle, discrète et prudente, qui dirigerait les conseils des gouvernements de demain. Nommer M. Clemenceau, c’était honorer l’homme qui avait gagné la guerre et songer au passé. Nommer un autre candidat, c’était désigner un homme pour présider à l’organisation de la paix et penser à l’avenir. Entre les deux partis, le Parlement préférait visiblement le second ; il n’aurait consenti au premier que si les circonstances avaient paru l’y obliger. La journée du 12 janvier a marqué l’heure du destin. Si ce jour-là, au lendemain des élections sénatoriales, M. Clemenceau avait déclaré formellement ses intentions, il n’aurait pas eu de concurrent, et il aurait été élu aisément. Il reste quelque chose d’inexpliqué dans l’attitude de M.Clemenceau. A-t-il cru ses amis qui espéraient une sorte d’acclamation unanime ? A-t-il voulu respecter jusqu’au bout l’indépendance du Parlement et sauvegarder la sienne, qu’il ne tenait peut-être pas à sacrifier pour une fonction qui s’accorde si peu avec la liberté ? Toujours est-il qu’il a gardé le silence. Le 13 janvier les deux Assemblées se sont jugées maîtresses de leurs décisions, et elles ont tout de suite manifesté leur volonté. A la Chambre, M. Paul Deschanel réélu président à l’unanimité était l’objet d’une manifestation après laquelle il était invité à être candidat à la Présidence de la République. Peu après au Luxembourg, le Sénat faisait connaître ses sentiments en élisant président M. Léon Bourgeois qui avait fait des réserves sur le traité de paix. Le 16 janvier, à la réunion préparatoire du Congrès, M. Deschanel obtenait 408 voix, tandis que les partisans de M. Clemenceau n’étaient que 389. Le sort avait prononcé : M. Clemenceau faisait immédiatement savoir qu’il ne se présenterait pas au Congrès. Le lendemain, M. Paul Deschanel était seul candidat et réunissait tous les suffrages. Rien ne serait plus inexact que de ramener cette série d’événements à la mesure d’une intrigue, d’une négligence dépassant l’ingratitude ou d’une revanche prise par un parti sur un autre. M. Deschanel avait des appuis dans tous les groupes, et il a été finalement le candidat de tous. L’élection du 17 janvier a été en réalité la suite de toutes les opérations électorales. Le Parlement, renouvelé lui-même, a eu une volonté réfléchie de renouvellement, comme souvent la vie le conseille et comme l’histoire le justifie. Il a pris une résolution dont l’exécution était difficile et qui a coûté à beaucoup : mais il l’a prise parce qu’il la jugeait politique.