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Nicolas II dans la voie qui aboutit au conflit avec le Japon.

On conçoit aisément combien les hommes, dont nous avons vu Nicolas II entouré dès le début de son règne, contribuèrent à fausser le jugement et le caractère d’un jeune souverain doué d’une intelligence naturellement vive, mais faible de caractère et privé de toute instruction solide. Ce sont eux qui, par leurs flatteries systématiques et leur servilité, préparèrent la voie aux aventuriers admis bientôt dans l’intimité de l’Empereur et dont l’influence le poussa aux plus funestes résolutions.


AUX MAINS DES AVENTURIERS

De tous ces aventuriers, le plus étonnant et celui dont l’action se fit sentir avec le plus de force, fut, sans contredit, M. Bézobrazoff.

Que ce personnage burlesque et à moitié fou ait pu, pendant plusieurs années, jouer un rôle politique prépondérant et précipiter la Russie dans une guerre, c’est ce qui dépasse ma compréhension. Issu d’une très bonne famille (son père avait été Maréchal de Noblesse de la province de Saint-Pétersbourg), M. Bézobrazoff avait commencé par être officier dans un des régiments les plus brillants de la Garde Impériale, où servait aussi mon frère, et je l’avais souvent rencontré à cette époque. Ayant subi des revers de fortune, il quitta ce régiment, et l’on savait vaguement qu’il avait pris du service dans l’administration civile en Sibérie. Ce ne fut qu’environ vingt-cinq ans plus tard, qu’il réapparut à l’horizon de Saint-Pétersbourg. On apprit alors avec étonnement qu’il avait, par des moyens restés obscurs, gagné la confiance de l’Empereur, auquel il avait soumis un vaste plan d’expansion politique et économique en Extrême-Orient : il s’agissait des fameuses concessions forestières du Yalou, qui devinrent par la suite la pierre d’achoppement des négociations entre la Russie et le Japon et la cause ultime de la guerre russo-japonaise.

Je ne fatiguerai pas l’attention de mes lecteurs en entrant dans les détails des projets de M. Bézobrazoff, qui avait la prétention d’ouvrir à la Russie de vastes perspectives politiques, en même temps qu’il promettait aux souscripteurs des bénéfices fabuleux ; je me contenterai de dire que c’est précisément