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parti libéral russe tenu en échec pendant les treize années de règne de ce souverain et qui, banni de la cour et de tous les emplois bureaucratiques, avait trouvé un refuge et un champ d’activité dans les « Zemstwos. » Dans ces assemblées provinciales, on pensait que le jeune Empereur, dont on vantait volontiers à cette époque l’intelligence et l’esprit de douceur, adopterait peut-être, comme cela s’est vu si souvent, aussi bien en Russie que dans d’autres pays monarchiques, une ligne de conduite différente de celle de son prédécesseur. L’occasion se présentait de faire connaître au nouveau souverain les aspirations libérales qui, on peut l’affirmer, étaient celles de la grande majorité des Russes éclairés. On résolut de profiter, à cet effet, de l’audience que l’Empereur devait accorder, peu de jours après son avènement au trône, aux représentants des « Zemstwos » chargés de lui apporter les félicitations et les vœux de ces assemblées.

La revendication d’un régime constitutionnel, plus ou moins clairement exprimée dans les adresses de presque tous les « Zemstwos, » était surtout nettement formulée dans celle du « Zemstwo » de la province de Tver, qui était connu pour ses tendances libérales et qui, de ce chef, était particulièrement mal vu à la cour. C’est en réponse à cette dernière adresse que Nicolas II prononça le fameux discours, où il qualifiait les aspirations des « Zemstwos, — pourtant présentées sous la forme la plus modérée et la plus respectueuse, — de « rêves insensés, » et déclarait sa ferme intention de n’admettre aucune diminution du pouvoir absolu qu’il avait hérité de son père.

Voici comment le docteur E.-J. Dillon raconte la scène qui se passa au Palais d’Hiver le jour où les représentants des « Zemstwos » vinrent y présenter leurs hommages à l’Empereur Nicolas. « L’autocrate, écrit-il, s’avança pompeusement dans la salle brillamment éclairée, le sourcil froncé, les lèvres fortement pincées, et, se tournant avec colère vers les hommes choisis par la nation, leur ordonna de renoncer à des idées chimériques qu’il n’accueillerait jamais. » En réalité, les choses se passèrent de tout autre façon. Et je regrette d’avoir à contredire sur ce point mon ami le docteur Dillon ; mais magis amica veritas. Je tiens de plusieurs témoins de la scène que, loin d’aborder les représentants des « Zemstwos » d’une manière pompeuse