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pouvaient sortir de cet enclos. Prostituées de Varsovie, de Bruxelles ou d’ailleurs, paysannes ou ouvrières de Pologne, de France, de Belgique, femmes d’officiers ou de fonctionnaires, toutes étaient attendues, à leur sortie, par leurs maris, par leurs parents ou par leurs... amis. Pour les enfants, dont un certain nombre étaient nés dans le camp, on les voyait passer le matin, se rendant aux écoles que la sollicitude de braves gens avaient, tant bien que mal, aménagées pour eux.

Le fond de cette population hétérogène se composait naturellement d’hommes du peuple. Holzminden était le réceptacle où l’Allemagne versait pêle-mêle, de tous les pays occupés, les indésirables ou les gêneurs. Une baraque proche de celle que j’occupais, abritait les pensionnaires de la prison de Loos près Lille, et le général commandant le camp eut l’amabilité de me prévenir, dès mon arrivée, de la nécessité de prendre quelques précautions à l’égard de ces voisins de mœurs spéciales, parmi lesquels se trouvaient un certain nombre d’individus condamnés pour assassinat [1] La présence de ces bandits était moins un danger qu’une insulte. Dans son ensemble, la foule parquée entre les fils de fer m’a frappé dès le premier jour par sa dignité, son courage et sa belle entente. A part quelques exceptions, tous ces hommes supportaient leur sort avec une résignation vraiment admirable. Je n’en ai rencontré que bien peu qui eussent fléchi sous le poids de la captivité. Les forces physiques de plusieurs finissaient par s’altérer ; il y avait des malades, des neurasthéniques, et l’on rencontrait des cas de folie ; mais chez presque tous le ressort moral demeurait intact. L’inébranlable espoir de la victoire finale soutenait les énergies. Quand j’arrivai au camp, chacun était convaincu qu’il serait mis en liberté avant l’hiver, mais il n’y en avait que bien peu qui n’eussent préféré une prolongation de captivité à une paix défavorable.

Et pourtant nombre d’entre eux étaient là depuis deux ans ! C’étaient d’ailleurs les plus résolus. Ils avaient traversé les misères des premiers temps de la guerre, pâti de la brutalité des sentinelles, souffert du froid dans les baraques non chauffées l’hiver, assisté à l’agonie des malheureux Louvanistes versés dans le camp au mois de septembre 1914. Peu à peu on

  1. On les a expédiés ailleurs durant mon séjour.