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dégoûté du présent. Il a vécu dans le cloaque sanglant de la Convention, et ce spectacle ne l’a pas découragé de l’humanité. Il est passionnément admirateur de Napoléon, et il ne fait pas de vœux pour le voir revenir. Il connaît l’histoire, il connaît le monde, il a fait la guerre, traversé les grands carnages des batailles, et il continue de faire crédit à la vie.

La vie le récompense de tant de confiance. Né au lendemain de Sedan, à deux pas de l’exécrable frontière, élevé dans la pensée constante de nos désastres, il n’a jamais douté un jour de la revanche et de la justice nécessaire des choses. Il savait qu’un moment viendrait où la France rentrerait chez elle dans Metz et dans Strasbourg. Et l’« heure merveilleuse » est venue. L’historien a eu la fortune de revenir en soldat dans nos provinces libérées et de réaliser à l’âge d’homme le rêve de l’enfant.

Il a vu sous ses yeux se faire l’histoire, et quelle histoire ! Après s’être penché curieusement sur nos mœurs politiques, s’être mêlé aux élections et à la chimie des partis, avoir vu le bouillon de culture de la pensée française au travail dans la cornue parlementaire, son destin lui ouvrait un autre laboratoire. Il a hanté des hommes dont l’avenir dira qu’il n’en est pas de plus grands. Joffre, Foch, Castelnau, Pétain, Nivelle, Mangin, Fayolle, Debeney, Gouraud, l’ont reçu dans leur confidence. Il a surpris le secret des grands événements. Il en a sondé les acteurs. Il sait comment se fabrique une victoire de Verdun ou une bataille de la Marne.

Rarement historien aura eu pareille chance. Quel usage M. Madelin fera-t-il de la sienne? Reviendra-t-il, muni de cette prodigieuse expérience, à ses grandes fresques du passé ? Se plaira-t-il à montrer dans la France d’aujourd’hui la race, les vertus d’autrefois? Jamais plus noble matière ne s’est offerte à l’histoire. Il est beau de pouvoir faire à la patrie un lit de drapeaux, d’ajouter ceux de la République aux trophées de la Monarchie et de l’Empire, et de dire à la France, comme Bonaparte à Lassalle, le soir de Rivoli : « Va, couche-toi dessus : tu l’as bien mérité. »

Fidus.