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malheureuse guerre des duchés : elle avait donc partagé les angoisses et même les fatigues physiques de son père, et ces souvenirs ne s’étaient jamais effacés de sa mémoire. A l’époque dont je parle, son mari, fils du dernier roi de Hanovre, dépossédé par la Prusse, était dans les mêmes sentiments ; (on sait que, depuis, l’appât du duché de Brunswick et des millions guelfes a fait qu’il a consenti au mariage de son fils avec la fille de Guillaume II.) Il arriva qu’une des visites inattendues de Guillaume II surprit le duc et la duchesse de Cumberland à Copenhague ; plutôt que de s’exposer à se rencontrer avec le souverain allemand, le couple ducal s’empressa de quitter la capitale danoise le jour même de l’arrivée de l’empereur. Cet incident fournit à la princesse Marie d’Orléans, mariée au prince Waldemar, troisième fils du roi Christian, restée très Française de cœur et d’esprit, l’occasion d’un de ces traits malicieux pour lesquels elle était réputée à la Cour de Danemark : au grand diner offert ce jour-là à Guillaume II, on l’entendit remarquer tout haut et de manière à que cette remarque n’échappât pas à l’empereur : « Quelle bonne sauce, et comme elle file bien ; on dirait une sauce Cumberland. »

Quant à l’empereur Guillaume, il ne paraissait pas se douter de l’impression qu’il produisait sur ses hôtes et avait l’air de croire que, par sa seule présence et par l’effet de son irrésistible séduction, il ramenait à lui tous les cœurs. Se composant, comme il en avait l’habitude, un rôle pour la circonstance, il affectait une déférence presque exagérée à l’égard du vieux Roi qu’il savait être adoré de son peuple, s’imaginant par là se rendre populaire parmi le public danois. Ainsi, au cours de l’une de ses visites, au moment de prendre congé du Roi à l’embarcadère, il étonna l’assistance en baisant publiquement la main de Christian IX ; tous ses efforts restaient d’ailleurs stériles, et, à chacune de ses apparitions, les autorités danoises étaient obligées de prendre des mesures afin de prévenir des démonstrations hostiles de la part de la population.

Dans l’été de 1905, les esprits en Danemark étaient particulièrement montés contre l’empereur Guillaume. Il y avait à cela deux raisons : d’abord, au cours de cet été, les autorités allemandes avaient accentué les mesures vexatoires auxquelles était soumise la population danoise du Sleswig d’où on avait expulsé un certain nombre de jeunes Danois ; ensuite, des bruits