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Après les péripéties que je viens de décrire, les deux souverains restèrent deux ans sans se revoir. Je raconterai plus loin comment, en 1907, lors de l’entrevue qui eut lieu entre eux à Swinemünde et à laquelle j’assistai en qualité de ministre des Affaires étrangères, l’empereur Nicolas, craignant que l’empereur Guillaume n’abordât ce sujet épineux, me chargea de prévenir le chancelier allemand que le traité de Bjorkoe devait être considéré comme définitivement abrogé et qu’il se refuserait à toute tentative de la part de l’empereur Guillaume de le faire revivre.


Au moment de l’entrevue de Bjorkoe, j’étais, comme je l’ai dit, ministre à Copenhague. Quelques jours après, j’appris que Guillaume II avait annoncé au roi Christian IX qu’en rentrant à Kiel à bord du Hohenzollern, il s’arrêterait à Copenhague pour lui faire une visite. L’empereur allemand aimait à faire de brusques apparitions dans la capitale danoise ; chacune de ces visites produisait un grand émoi non seulement à la Cour, mais dans tout le pays. On sait combien le ressentiment du peuple danois contre la Prusse et les Hohenzollern était resté vivace à la suite de la spoliation de 1864 : la famille royale partageait ce sentiment dans toute sa force, et la présence de Guillaume II à Copenhague était toujours, pour le roi Christian IX et pour son entourage, une source de douloureuses émotions L’aversion de l’Impératrice douairière de Russie, seconde fille du Roi, contre l’Allemagne et tout ce qui était allemand, était si forte que, lorsqu’elle venait voir son père, elle arrivait toujours sur son yacht, par voie de mer, afin de ne pas traverser l’Allemagne. Quelquefois, la saison la forçait de prendre, pour le retour, la voie de terre, et, par conséquent, de passer par le territoire allemand ; dans ce cas, elle ne consentait jamais à faire la courte traversée du détroit qui sépare les îles danoises de la côte allemande sur un paquebot battant pavillon allemand : un bateau danois la déposait à Warnemünde, où l’attendait un train spécial composé de wagons russes et qui gagnait la frontière russe avec aussi peu d’arrêts que possible.

La troisième fille du roi Christian IX, la princesse Thyra, mariée au duc de Cumberland, était, si possible, encore plus ardente dans son antipathie contre les Allemands ; car elle n’avait pas encore quitté la maison paternelle lorsqu’éclata la