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— Ma sœur, reviens à moi, dit-elle… N’aie aucune crainte… Je l’ai enterré ce matin… là-bas… au Marabout… cet amour… avec le yatagan maudit…

Et puis, la Bédouine redevint livide. Il sembla qu’elle allait de nouveau s’évanouir.

— Pauvre, pauvre petite amie ! dit lalla Zoulikha, et dans son regard se lisait la plus horrible souffrance, avoir crainte de toi !… Oh ! non… seulement, je ne savais pas… Didenn était ton bien avant qu’il ne devienne le mien… Et c’est moi qui te l’ai pris… Non, non, la fille des Marabouts saura racheter sa faute, dût-elle lui coûter les larmes de sa vie…

Il faisait nuit lorsque Zoulikha quitta le gourbi pour rentrer chez elle. Dès qu’elle eut franchi le seuil de la splendide demeure, une négresse la débarrassa de son voile et de son haïk de soie. Puis, soulevant une portière de velours rouge :

— Sidi attend Lalla dans la chambre du Levant !

La jeune femme pénétra dans une salle éblouissante, toute carrelée de mosaïques bleues, et dont le toit formait dôme. Elle était éclairée de bougies blanches innombrables, montées sur des candélabres d’argent. Les fenêtres en ogive étaient encore grandes ouvertes, on apercevait au loin les lumières de Tlemçen sur le fond sombre des oliviers.

Didenn en effet attendait sa femme, assis sur un matelas de satin cuivre, auprès d’une minuscule table de nacre, où un livre restait ouvert. Il se leva aussitôt pour aller au-devant de Zoulikha.

— Femme, lui dit-il en la dévorant de baisers, où étais-tu pour tant tarder ? J’étais sur le point d’aller te chercher et la rigueur des convenances me retenait là cloué comme un infirme…

Et plus bas :

— Je languissais de ton ombre, de ton parfum…

Mais devant l’attitude froide, l’air préoccupé de sa femme qui ne lui rendait point ses caresses, Didenn s’arrêta. Ses yeux bleus prirent la couleur de la mer inquiète.

— Qu’as-tu, femme ?… Que ce soit du bonheur au moins…

Zoulikha hautaine le repoussa doucement.

— Viens, lui dit-elle en le conduisant vers le sofa qu’il venait de quitter.